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20 avril 2009 1 20 /04 /avril /2009 14:21






Le phénomène d’appartenance à une communauté

 

La création d’une communauté par une ou plusieurs marques est un phénomène facilement observable. Le plus significatif est sans doute ce qui se passe dans les cours de récréation dès l’école primaire avec les vêtements et autres produits de marque. On connaissait « dis-moi qui sont tes amis et je te dirais qui tu es » et « qui se ressemble s’assemble », avec le phénomène que l’on vient d’identifier, on est ami, on se ressemble parce qu’on consomme pareil. On passe au « dis-moi ce que tu consommes, je te dirais qui tu es ».


« Porter les mêmes vêtements que ses camarades, c’est une façon de se fondre dans la masse. Ainsi, on est comme les autres. Elles peuvent être aussi une manière de montrer qui on est et à quelle « tribu » on appartient, chacune d’entre elles possédant ses attitudes, ses codes vestimentaires. On peut être à la fois transparent au sein de son groupe et afficher son identité au reste du monde »
[1]

 

On peut discerner ici deux éléments, d’une part, le fait de porter les mêmes vêtements, sous-entendu, des vêtements de marque, permet de « se fondre dans la masse », c'est-à-dire de ne pas être exclu. D’autre part, il s’agit d’être intégré à une « tribu » par l’ensemble des signes distinctifs que l’on porte. Ce qui nous permet de distinguer deux phénomènes attenants au sentiment d’appartenance à une communauté : l’exclusion des produits non siglés et la formation de la communauté autour d’un noyau de marques porteuse d’une identité commune. Et si l’on se réfère aux traits qu’Umberto Eco identifie pour l’Ur-fascism, force est de constater que l’on se rapproche ici fortement de la création d’une élite et du mépris envers les « faibles », ceux qui n’en sont pas.

 

 

Une communauté autour d’une marque ou d’un ensemble de marques

 

 

Le sentiment d’appartenance à une communauté est favorisé et encouragé par les marques en tant qu’outil de fidélisation. Ainsi les cartes de fidélité, les clubs, et diverses opérations de marketing viral qui exploitent les réseaux sociaux sont en constante progression, signe que nous sommes dans une société post-publicitaire où les marques cherchent à créer une relation directe avec le consommateur. Certaines marques on même une « communauté » qui gravite autour des produits et valeurs de la marque, mais en un sens assez large. C'est-à-dire qu’en fait la communauté est le résumé d’un univers particulier qui implique plusieurs produits et fait en général référence non pas à une, mais à plusieurs marques.  

 

Mais de quelles marques parle t-on ? Toute marque n’est pas destinée à générer ce sentiment communautaire, ou du moins pas avec la même intensité. Les marques de produits qui ne reflètent pas directement un style de vie, comme les marques de produits ménagers, ne génèrent pas ce sentiment d’appartenance lié aux marques de vêtements.

D’autre part, on peut considérer que les marques grand public créent des liens communautaires moins forts que les marques qui ont une stratégie de niche. Car le principe de la niche en marketing est bien de cibler une clientèle très particulière qui constitue une petite communauté plus homogène.


Il a semblé intéressant, avant de poursuivre l’analyse, de se pencher de plus près sur deux exemples témoignant d’un lien communautaire fort. Il de la marque de chaussures de skate-board Vans qui est liée d’une manière générale à la communauté des sports extrêmes et plus précisément à la communauté des passionnés de planche à roulette (encadré ci-dessous)


 

La marque Vans et la communauté des sports extrêmes 

 

Prenons l’exemple la marque Vans, marque de chaussures de skate-board. Le site Internet de la marque[2] compte une rubrique « community ». Si l’on regarde les sujets en ligne sur le forum de la communauté, endroit où les membres échangent leurs projets, leurs conseils, et leurs idées, on trouve : une rubrique « general Vans » qui traite  de la marque et des chaussures en particulier mais également des rubriques « skate », « snow », « BMX », « surf », « moto X », « music », « art ».

C’est le monde des sports extrême et non pas seulement le skate-board qui se trouve résumé avec ces quelques sujets de discussion. « Skate », « snow », « BMX », « surf », « moto X » font en effet référence à des sports de glisse, motorisés ou non, mais qui sont tous considérés comme des sports extrêmes. « BMX » - abbréviation de Bicycle motocross - par exemple désigne une discipline de vélo tout terrain qui s’apparente au motocross.

On voit qu’il y a également des rubriques « music » et « art » car un certain type de musique est toujours diffusé lors des compétitions – punk, metal, hard rock, rap - et le design des marques de sports extrême ainsi que le cadre où ils sont pratiqués est associé à un certain type d’art – street art ou art des rues, tags et graffitis-. On pourrait rajouter également les DVDs et les jeux d’ordinateurs ou de console liés aux sports extrêmes.  


Rien que pour le BMX, il y aurait 200 marques en activité, qu’il s’agisse de marques de pièces détachées ou de vélos entiers
[3]. On peut dire que toutes ces marques gravitent autour de la communauté des sports extrêmes au sens large. Au sens large, car si l’on y regarde de plus près, on peut identifier des « sous communautés », comme celle des passionnés de skate-board, des passionnés de BMX

Il est clair que si les marques gravitent autour de la communauté essayant de capter son attention par des innovations techniques ou le sponsoring de grands évènements comme les X-Games de Los Angeles, certaines marques occupent une position prépondérante et constituent ce qu’il convient d’appeler le « noyau dur » de la communauté, ce qui est probablement le cas de la marque Vans. En effet, le mot « Vans », marque de chaussures de skate-board peut être utilisé pour désigner les chaussures de skate-board en général ce qui semble être un signe de reconnaissance assez unanime.

 

           

 

            Il peut être intéressant de tenter de définir les grands pôles autour desquels s’articule une communauté. A partir des deux exemples précédents, on peut distinguer un certain nombre de points qui structurent l’analyse de l’univers d’une communauté et permettent de conceptualiser cette notion assez vague :

 

a.       La définition de la communauté en général.

 

b.      La définition des sous-communautés.

 

c.       Les produits consommés par la communauté qui contribuent à la définir.

 

d.      Les produits dérivés de ces produits et autres goodies qui font parti de l’univers de la communauté.

 

e.       Les grands évènements qui rythment la vie de la communauté.

 

f.        Les grandes stars ou figures tutélaires qui sont les modèles de la communauté.

 

g.       L’environnement artistique de la communauté. C'est-à-dire son cadre artistique, la musique qu’elle écoute, l’art visuel auquel elle s’identifie. Mais également, l’art qu’elle produit en référence à sa passion. Par exemple pour les sports extrêmes, des graffitis à l’effigie des champions.

 

 

Il faut noter que l’univers d’une sous-communauté ne correspond pas nécessairement totalement à l’univers de la communauté entière. Par exemple, une star d’une sous-communauté n’est pas nécessairement connue dans la communauté entière, d’autres stars au contraire peuvent transcender la sous-communauté.



           

Tentative d'analyse de l'univers d'une communauté : la communauté des sports extrêmes.

 

            Une fois cette notion d’univers de la communauté clarifiée, au moins en partie, on peut revenir à la question de savoir comment la marque se place dans cette communauté. En pointillés, on a sur le schéma mis en valeur le placement de la marque Vans dont le cœur est constitué par les produits et produits dérivés et qui pratique également des activités de sponsoring d’évènements et de stars.

 

D’une manière générale, une marque peut être à l’origine d’une communauté. Il s’agit là des marques pionnières dans un domaine, comme Vans pour le skate-board, qui a très largement participé à la création et à l’émergence de la communauté des « skaters ». La marque Apple a également su créer sa communauté, la communauté Mac du non de l’ordinateur et du système Apple et à vrai dire, Apple reste la seule marque du noyau de la communauté.


Une marque peut s’être agrégé à une communauté existante et avoir pénétré le noyau de marques dont on parlait ou être simplement resté en périphérie. Il peut s’agir d’une marque récente ou d’une marque qui étend ses activités. Par exemple Microsoft est venu s’agréger à la communauté des sports extrêmes par le lancement de jeux tels Motocross Madness ou Tony Hawk’s Pro Skater - respectivement  une série de jeu de motocross et une série de jeux de skate-board-.

 

Si l’on peut dire qu’une marque ou qu’un ensemble de marques crée une communauté, il s’agit toujours d’une relation à double sens. La communauté évolue ensuite autour de la ou des marques. Elle peut abandonner une marque, adopter une nouvelle marque, s’identifier toujours plus à une des marques qui constituent son « noyau ». Certaines marques sont à ce point reconnues par une communauté qu’elle finissent par désigner le produit générique – on entend par là un type de produit -, comme on l’a vu pour la marque Vans (voir l’encadré ci-dessus).

 

L’adoption ou l’abandon d’une marque par une communauté donnée relève du phénomène de « mode communautaire ». Si l’on tente d’analyser ce phénomène, on doit distinguer entre deux types de profil selon qu’il s’agit ou non d’une communauté qui se voit ou non comme non-conformiste. Une communauté standard adopte une marque plus ou moins rapidement à la suite de l’adoption de cette marque par ses leaders d’opinion. La marque reste ensuite dans le noyau des marques de communautés ou voit au contraire son influence décliner au cours du temps, tout dépendant de la perception qu’en ont les membres de la communauté, et donc de la politique de la marque. Une communauté qui se veut non-conformiste adopte également une marque à la suite de l’adoption de cette marque par ses leaders d’opinion. Seulement, quand la marque est adoptée par la majorité, les leaders d’opinion non-conformistes s’en détournent et cherchent à se reconnaître dans une autre marque les valeurs auxquelles ils adhèrent.






 

Reste à savoir ce qui fait qu’une marque fait partie du noyau dur de la communauté, ce qui fait qu’elle est adoptée par les leaders d’opinion. On peut penser en termes d’avantages comparatifs. Ainsi peut-on invoquer des critères tels que l’avantage du pionnier, les activités de sponsoring ou le degré d’avancée technique. Mais il s’agit peut-être aussi de se pencher sur le concept de « personnalité de la marque » qui est un concept clé pour l’identification du consommateur à la marque et donc par extension, qui permet d’expliquer pourquoi une communauté se reconnaît dans une marque.

 

 

L’identification à une communauté et le concept de personnalité de la marque

 

 

Il semble que pour comprendre ce phénomène d’identification d’une communauté à une ou plusieurs marques, il faille dépasser le concept d’« image de marque » et s’orienter plus vers le concept de « personnalité de la marque » développé par Aaker (1997).

 

Dans le cadre de l’étude des communautés, cette analyse est en tout cas tout à fait pertinente. En effet, on peut voir la ou les marques qui constituent ce que l’on a appelé le cœur de la communauté comme autant de figures quasi-humaines, de membres fondateurs ou de modèles. Pour rester dans l’univers du sport, il n’est pas rare qu’un sportif crée sa marque, avec plus ou moins de succès. Qu’on pense par exemple aux lunettes Vuarnet, fruit de la reconversion du skieur du même nom. Clairement, ces marques font partie de la communauté en tant que personne, comme un membre éminent ou un invité d’honneur.

Si l’on revient à la marque Vans pour l’analyser à l’aide du concept de personnalité de la marque de Aaker (1997), on trouve deux traits : le dynamisme et la rudesse, qui correspondent à trois facettes : moderne, audacieuse et solide. On peut voir que l’on n’est pas loin du portrait de la personnalité d’un skateur.

 

 

Marques et produits non siglés : les marques,  vecteurs d’exclusion ?

 

 

Les marques permettent une «discrimination de l’ami et de l’ennemi ». En quoi  elles atteignent une dimension quasi-politique au sens de Carl Schmitt[4] :

« Le sens de cette distinction de l’ami et de l’ennemi est d’exprimer le degré extrême d’union ou de désunion, d’association ou de dissociation […] L’ennemi politique ne sera pas nécessairement mauvais dans l’ordre de la moralité ou laid dans l’ordre esthétique, il ne jouera pas forcément le rôle d’un concurrent au niveau de l’économie, il pourra même, à l’occasion, paraître avantageux de faire des affaires avec lui. Il se trouve simplement qu’il est l’autre, l’étranger, et il suffit, pour définir sa nature, qu’il soit, dans son existence même et en un sens particulièrement fort, cet être autre, étranger »[5].

 

Sauf qu’en l’occurrence, cet « autre », cet « étranger » est considéré en termes quasi-moraux et esthétiques dans le cadre des phénomènes d’identification à une communauté générés par certaines marques. Ainsi, d’après une enquête réalisée en France en 2004 par l’Union des Familles en Europe (UFE) les marques sont un important facteur d’exclusion, ne pas porter de marques sur soi est discriminatoire[6]. Plus de deux tiers des élèves de la tranche d’âge 11-15 ans reconnaissent connaître des élèves « rejetés » en raison de leur apparence physique.

 

Certes, les marques ne disent pas de manière directe et explicite qu’il faut exclure les gens qui portent des produits non siglés. On a bien dans certaines publicités une « marque X » qui apparaît terne comparé à la marque qui est l’objet de la publicité. Par exemple « lessive X » contre Ariel, car le droit ne permet pas de citer explicitement les concurrents. Mais « lessive X » représente encore une marque. Quoique, les « marques X » peuvent faire penser à des produits non siglés ou à des marques de distributeur. Il est intéressant à ce titre de remarquer que certaines marques, les marques de distributeurs notamment, ne sont pas toujours perçues comme des marques. En effet, si Auchan est indéniablement une marque qui représente un distributeur, ses rayonnages bien fournis, ses magasins bien organisés et le sourire des caissières, fidèle au slogan « La vie, la vraie » , qu’en est-il des vêtements Auchan ? Que l’on pense à la marque ombrelle d’Auchan pour le textile, In Extenso, équivalent de Tissaïa chez Leclerc ou Tex chez Carrefour, cette marque est-elle perçue comme telle dans les cours d’école ? Ces marques de distributeur manquent de personnalité au sens de Aaker, telle que définie plus haut.

 

 

Un paradoxe : l’individualisme qui transparaît toujours derrière le sentiment d’appartenance à une communauté

 

 

Apparaît ici le paradoxe de la volonté de se fondre dans la masse, tout en montrant qui on est et donc en se distinguant de la masse. Ce paradoxe est toujours présent quand on s’intéresse aux marques, il est lié à la montée de l’individualisme dans les sociétés post-modernes qui fait que l’on désire toujours être original tout en faisant comme les autres. Ainsi, les jeunes qui se reconnaissent dans les mouvements « gothiques » ou « anarchistes » - sans nécessairement l’être vraiment[7] - vont avoir un certain type d’habillement et se reconnaître dans des marques telles Mr. Jack, référence au film de Tim Burton L’Etrange Noël de Mr. Jack, ou Emily the Strange (voir encadré à la fin de ce paragraphe), alors qu’ils proclament haut et fort leur indépendance vis-à-vis du capitalisme corrompu. Mettre un écusson Che Guevara ou le « A » de anarchie sur son sac est censé être une marque d’originalité et d’indépendance d’esprit, mais que dire quand des centaines de milliers de lycéens le font ? D’ailleurs, le terme même de marque anti-conformiste peut être vu comme un oxymoron, la marque a toujours la « volonté de fédérer les consommateurs » [8] d’être conforme, ne serait-ce qu’aux attentes de ces derniers.

 

 

On peut donc conclure sans ni diaboliser les marques ni le sentiment d’appartenance à une communauté qu’elles génèrent qu’il y a potentiellement des tendances fascisantes, notamment dans ces phénomènes d’exclusion. Une communauté fascisante serait une communauté qui est hostile à ceux qui n’en sont pas membres et qui s’investi trop profondément dans la vie de ses membres allant régenter jusqu’à leurs principes moraux.



[1] Olivier Rampnoux du Centre Européen des Produits de l’Enfant.

URL :  http://cepe.univ-poitiers.fr

[2] Site Internet de la marque Vans

URL : http://www.vans.com/vans/boards.asp

[3] http://www.bonthronebikes.co.uk/help/bmx-bike-brands

[4] Carl Schmitt (1888-1985) La Notion de politique 1932

[5] Carl Schmitt (1888-1985) La Notion de politique 1932

[6] Enquête réalisée au cours de l’année scolaire 2003-2004 implicant 539 collégiens et 472 parents

URL : www.uniondesfamilles.org

Cité par Lucie Baune dans La religion des marques, Caisse nationale d’Allocations familliales, Informations sociales 2007/1 - n°137 p.31-32

[7] Finalement, les véritables gothiques et anarchistes sont rares, ils ne se reconnaîtraient pas dans des marques. Mais il restent les modèles d’un grand nombre d’adolescent, un peu comme des grands frères que l’on imite maladroitement et toujours partiellement, même si l’on se veut complètement pareil. Ce petit groupe de leaders adoptent certaines marques et certains produits, les suiveurs les adoptent à leur tour avec un décalage, quand les leaders sont déjà passés à autre chose.

[8] Pro Logo

[9] Sources pour cet article:

Site culturofil :

URL: http://culturofil.net/2007/10/23/emily-the-strange-anticonformistes-avez-vous-votre-carte/

Site officiel Emily the Strange :

URL:  http://www.emilystrange.com/

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