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15 avril 2011 5 15 /04 /avril /2011 02:06

 

 

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Johann Heinrich Füssli, Lady Macbeth somnambule, 1784

 

 

 


Toujours en lisant le journal de cette chère duchesse de Dino[1], je tombe sur un passage qui m’intrigue :


« Londres, 10 septembre 1831 - On me parle d’émeutes féminines ; il y a eu quinze cents de ces horribles créatures qui ont fait du train. La garde nationale, à cause de leur sexe, n’a pas voulu user de force ; heureusement que la pluie en a fait justice. »


« Emeutes féminines », cela veut tout dire. Il y a plus qu’un mépris de classe sous la plume de Dorothée. Elle qui se trouve bien au chaud dans son petit salon londonien, à user de ses petits doigts au clavecin sans doute... Mais de quoi s’agit-il ? Londres. Je pense aux suffragettes, tout en sachant pertinemment que ce n’est pas cela : encore quelques soixante dix ans avant que Mme Banks puisse agiter ses jupons... « Horribles créatures », je vois la Lady Macbeth de Füssli brandir sa torche, les yeux exorbités : « En avant ! ». En avant qui ? Personne. Lady Macbeth n’est pas une Marianne guidant le peuple, elle a déjà bien assez de mal à se guider elle-même. Et les « horribles créatures » dont parle Dorothée ne sont pas des châtelaines, ce sont sans doute des « travailleuses ». La duchesse de Dino écrit de Londres, mais ce sont des nouvelles qu’on lui rapporte de Paris. Elle écrit le 10, les émeutes doivent dater de début septembre, voire de fin août. Je recherche donc une émeute datant de l’automne 1831, impliquant des femmes, et, vu l’époque, concernant soit le prix du pain, soit la condition ouvrière.


Je découvre, mentionnée dans un article historique[2], l’« émeute de la rue du Cadran » de septembre 1831. Voila donc mon affaire. Les découpeuses[3] de châles du Sentier manifestent contre les machines que l’on amène de Lyon et qui font en un seul jour l’ouvrage de plusieurs ouvrières. La révolte des Canuts avant l’heure[4]. Cinq jours d'émeute. On proteste contre la mécanique, contre le prix du pain, on s’échauffe, mais on est en septembre déjà, la pluie et le vent viennent refroidir tout cela. Le Paris révolutionnaire, c’est le Paris des mois d’été.


L’ « émeute des découpeuses », cela sonne vraiment bien tout de même. On comprendrait presque que Dorothée évoques ces « horribles créatures ». Seulement, ne lui en déplaise, un mois après l’émeute, la Gazette des Tribunaux rapporte :


« Jeunes et jolies pour la plupart, elles tenaient leurs yeux timidement baissés, se justifiaient en balbutiant et aucune d’elles ne nous présentait ces traits mâles et marqués, cette voix forte et enrouée, enfin cet ensemble de gestes, d’organes, de figure et de mouvements qui nous semblent devoir être le type constitutif de la femme-émeute. »[5]


Il y a donc un type de la  « femme-émeute ». La « femme-émeute » n’est pas une douce créature qui se mue en furie, c’est un genre poissonnière à la voix rauque, bien reconnaissable hors même ses transports militants. Une virago, comme on disait alors. Aujourd’hui, on associerait plus volontiers  cette description à l’argot américain « dyke », le type de la lesbienne camionneuse. Intéressant. Mais ce serait bien plus intéressant si, justement, les douces créatures n’étaient pas si douces que cela.

 

« Emeute en jupons, république en cornettes », résume la Gazette des Tribunaux. Sous la plume de Barthélémy, poète satirique, qui a rédigé une chronique en vers toute l'année 1831, on trouve même une ode à l’« L’Emeute du Cadran » :

 

« L’émeute ! encor ! hydre des carrefours,

Que le galop disperse et qui renaît toujours !

Cette fois elle abdique une mâle origine,

Ses cris sont plus aigus, c’est l’émeute androgyne ;

Aussi pour sa bannière elle déploie un schall[6] :

Soudain Périer[7] suivi du nouveau maréchal[8],

Appelle auprès de lui, pour faire la campagne,

Tourton, le fournisseur de la guerre d’Espagne ;

Et le noble trio, tout radieux d’orgueil,

A terrassé le monstre au quartier Montorgueil.

Ce n’étaient plus ici des bandes aveuglées :

Ils avaient tous affaire à des troupes réglées ;

Et ce n’est point aisé, dans ce péril pressant,

D’arrêter à tout pris l’effusion du sang.

Il ne fallait rien moins que ce ministre équestre

Pour refouler d’un mot cette émeute au séquestre

Elle a fui ; ses longs cris n’éclatent plus dans l’air,

Et pour se réchauffer elle attend cet hiver. »[9]

 

Le quartier de Montorgueuil, voila où l’on doit trouver cette fameuse rue du Cadran. La Bourse, les Halles, cela me rappelle mon père. Il me manque, mon père. Mais je m’égare. Les vers de Barthélémy ne sont pas ceux d’Hugo certes, mais c’est tout de même très honorable. Et Hugo ? Il se trouve qu’il a lui aussi quelque chose à dire sur le sujet. Il y a, comme toujours sous sa plume, ces mots merveilleux :

 

« Rien n'est plus extraordinaire que le premier fourmillement d'une émeute. Tout éclate partout à la fois. Etait-ce prévu? Oui. Etait-ce préparé? Non. D'où cela sort-il? Des pavés. D'où cela tombe-t-il? Des nues. Ici l'insurrection a le caractère d'un complot; là d'une improvisation. Le premier venu s'empare d'un courant de la foule et le mène où il veut. Début plein d'épouvante où se mêle une sorte de gaîté formidable. Ce sont d'abord des clameurs, les magasins se ferment, les étalages des marchands disparaissent; puis des coups de feu isolés; des gens s'enfuient; des coups de crosse heurtent les portes cochères; on entend les servantes rire dans les cours des maisons et dire: Il va y avoir du train! »[10]

 

« Il va y avoir du train », la même expression que celle de Dorothée, « Faire du train ». Un passage par mon petit Littré s’impose. Je ne trouve pas tout de suite d’ailleurs : il n’y a pas moins de vingt-et-une entrées pour le mot train. « Faire du train, faire le train, gronder, se fâcher », ce n’est guère que la quinzième. Nous avons conservé en français contemporain le « train de vie » et « mener grand train », mais nous avons oublié « faire du train ». Dommage. Continuons la lecture d’Hugo :

 

« Rue Saint-Pierre-Montmartre, des hommes aux bras nus promenaient un drapeau noir où on lisait ces mots en lettres blanches: République ou la mort. Rue des Jeûneurs, rue du Cadran, rue Montorgueil, rue Mandar, apparaissaient des groupes agitant des drapeaux sur lesquels on distinguait des lettres d'or, le mot section avec un numéro. Un de ces drapeaux était rouge et bleu avec un imperceptible entre-deux blanc. »[11]

 

Rue des Jeûneurs, près de la Bourse, rue Mandar, plus au sud, perpendiculaire à la rue de Montorgueil qui descend vers les Halles. Je vois. En revanche, la rue du Cadran n’apparait sur aucun plan. C'est très important la rue du Cadran! Cela le devient ce soir où je devrais être en train de faire autre chose, bien entendu.

 

Je cherche donc une rue entre la Bourse et les Halles. Une rue renommée sans doute, ou effacée, fusionnée avec une autre. Il ne me reste plus qu'à explorer, dans la liste des rues du 2ème arrondissement, celles qui ne pouvaient porter leur nom actuel en 1831. Rue du Quatre-Septembre ? Bonne candidate, cela nous amène au 4 septembre 1870. Sauf qu’elle s'appelait auparavant « rue du Dix-Décembre », jour de l'élection de Louis-Napoléon Bonaparte à la Présidence de la République. Evidemment, j’aurais du y penser... Très méchant pour Louis-Napoléon, d’ailleurs. La République avait été proclamée au lendemain de Sedan, il a fallu en plus qu’on débaptisât sa rue. Quid du café du Cadran ? Le café où officiait le serveur Papillon, à qui l’on doit notre « minute Papillon !» Je le trouve à l’angle des rues Danou et Louis-le-Grand, mais de rue du Cadran, point de trace.

 

Je reprends le texte d’Hugo. Rue des Jeûneurs, je m'imagine des pénitents. Tiens, une grande procession comme celle de la Semaine Sainte à Séville. Nous sommes en Carême après tout... Les « Jeûneurs » sont fort joyeux d’ailleurs : je vois au passage qu’il s'agit d'une altération des « Jeux-Neufs », les jeux de boules auxquels s’essayait le XVIIème siècle sur l'ancien chemin de ronde de l’enceinte Louis XIII. Comme les apparences sont trompeuses parfois... Et Montorgueil ? « Orgueil », les lecteurs d’Hugo le savent, c'est l’ancien nom du « cric » dont se servent les ouvriers. Cet orgueil -ci doit être une conscience de classe qui s’élève...

 

Je trouverai! Mais pourquoi est-ce que je cherche au juste? Laissons cette question en suspens. Cadran, il y avait sûrement un cadran solaire... Le plus simple évidemment serait de chercher dans un dictionnaire des rues de l’époque. Pourquoi ne l’ai-je pas fait plus tôt ? Parce que c’est trop simple et que quitte à perdre du temps... Enfin, je veux ma réponse et je la trouve tout de suite. Il suffisait de chercher au bon endroit.  La rue du Cadran a d’abord été la ruelle des Aigouts, puis  la rue du Bout-du-Monde, cela ne s’invente pas. « En 1807, les propriétaires  riverains demandèrent le changement de nom de Bout-du-Monde en celui du Cadran, parce qu'il existait un grand cadran dans cette rue. »[12]


Le dictionnaire, de 1844, ne me dit pas quel est le nouveau nom de cette rue, mais il me laisse quelques indices. « Commence aux rues de Montorgueuil, n°77, et des Petits-Carreaux, n°1; finit à la rue Montmartre, n°88 bis et 90. 3e arrondissement, quartier Montmartre. » Ce doit être la rue Léopold Bellan. Et apparemment, il s’agit du nom d’un conseiller municipal qui aurait été adopté en 1937. Pourquoi, après 130 ans de cadran, a-t-il a fallu que cette rue change de nom ? Qui sait, j’aurais peut-être la réponse un jour ? Il y a quelque temps, alors que mon train s’arrêtait à la station Henri-Martin[13], un jeune homme a signalé à son voisin, le plus naturellement du monde, qu’Henri Martin était son aïeul.


En voila une rue bien extraordinaire : elle commence ruelle, avec un nom d’égout, elle est ensuite rue du bout du monde, pour finir avec le nom d’un illustre inconnu. La rue la plus banale de tout Paris sans doute. Tout cela à cause des émeutières de 1831, les découpeuses du Bout du monde, les suffragettes des Aigouts, les pénitentes du Cadran... Si Dorothée avait su que trois lignes de sa main feraient couler autant d’encre... Elle aurait été atterrée, sans doute.

 

Atterrée, comme Elisabeth qui m’observe depuis un moment. « Mais qu’est-ce que tu fais ? », ce qui sous-entend : « je croyais que tu devais travailler ». Evidement, elle me voit avec tous ces vieux livres : Les Misérables, Le Littré, un plan de Paris, les Mémoires de la Duchesse de Dino... Elle sait bien que je ne suis pas en train de travailler. Moi aussi, je croyais que je devais travailler, ma chère. La rue du Cadran en a décidé autrement... L’heure tourne.



[1] La Duchesse de Dino, née Dorothée de Courlande, est la nièce par alliance de Talleyrand. Elle fut très au fait des affaires européennes, rencontrant et correspondant le plus naturellement du monde avec tous les intellectuels et toutes les têtes couronnées. In Duchesse de Dino, Chronique de 1831 à 1862, Volume I : 1831-1835, Plon, Paris, 1840

[2] Michelle Perrot, « Femmes et machines au XIXème siècle » in Romantisme, 1983, Vol. 13, No. 41, p. 15-18

[3] « On nomme, chez les Gaziers et les Fabricants de châles, Découpeuse, Celle qui coupe les fils remplissant les intervalles qui se forment entre les fleurs en fabriquant. » Article « Découpeuse » in Nouveau Dictionnaire François, composé sur le Dictionnaire de l'Académie Françoise, enrichi de grand nombre de mots adoptés dans notre langue depuis quelques années, et dans lequel on a refondu tous les suppléments qui ont paru jusqu'à présent, Volume 2 , Jean-Baptiste Delamollière, 1836

[4] N’est-il pas significatif que la révolte des Canuts ait justement eu lieu en novembre 1831, soit deux mois après l’émeute de la rue du Cadran ?

[5] Gazette des Tribunaux, 12 octobre 1831 cité in Michelle Perrot, « Femmes et machines au XIXème siècle » in Romantisme, 1983, Vol. 13, No. 41, p. 15-18

[6] Orthographe particulière du mot « châle » que l’on retrouve dans plusieurs écrits des années 1830-1840. Après tout le mot est d’origine persane...

[7] Casimir Périer, Président du Conseil à partir de mars 1831 jusqu’à sa mort des suites du choléra en 1832. Il était d’ailleurs en correspondance avec la duchesse de Dino.

[8] Le maréchal Soult, qui succéda à Périer en 1832. Enfin, je me demande quand même, parce que ce maréchal d’Empire n’a rien de « nouveau ».

[9] Auguste Marseille Barthélémy, Némésis, Volume I, 4eme édition, Perrotin éditeur, 1835, p.331-332

[10] Les Misérables, X, Quatrième partie - L'idylle rue Plumet et l'épopée rue Saint-Denis, 1832

[11] Ibidem

[12] Félix Lazare, Dictionnaire administratif et historique des rues de Paris et de ses monuments, 1844

[13] Historien et maire du XVIème arrondissement.

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7 avril 2011 4 07 /04 /avril /2011 10:04

 

 

On n’a jamais dit tant d’horreurs que durant ces cinq petites années, de 1789 à 1794. D’ailleurs, il n’est pas une horreur totalitaire par la suite que l’on n’y puisse faire remonter. Le principe de l’extermination en masse d’une population, de son organisation et de sa supervision par un Etat tout puissant est déjà fixé. J’exagèrerais en disant qu’on n’a jamais vu tant de violence ou de barbarie en France. Les jacqueries et leur répression, peut-être aussi les dragonnades, étaient d’une barbarie comparable. Mais, a-t-on jamais vu l’horreur si proprement et joliment théorisée ? On n’a jamais vu l’excitation de la foule doublée du couperet froid de la guillotine. Civilisée, la guillotine. C’est un médecin qui l’a inventée, pour éviter les inutiles souffrances infligées aux condamnés par des bourreaux maladroits. Et il est vrai que les exécutions sont beaucoup plus propres. Seulement, on a aussi inventé une machine à tuer. La lame idéale pour pratiquer, à l’échelle industrielle, la grande saignée nécessaire à l’instauration d’un ordre nouveau. Ce principe a été repris par toutes les « ordres nouveaux » depuis lors qui n’ont eu de cesse d’optimiser la mort, de la rendre efficace, rapide, économique.

Mais revenons à l’année 1793. Les condamnés vont en procession, les suicidés sont légion, l’horizon est noir et rouge, ce ne sont pas encore les gallons de l’Empire, c’est un catafalque de sang. C’est la fin d’un monde, la raison fout le camp, comme lorsqu’on croyait que la terre était plate, et qu’il y avait cette zone incertaine : le bord du monde, où nécessairement tout était emporté vers un gouffre vide. Ce n’est pas tant que la barbarie se justifie, s’invente des décrets, des lois, une constitution. C’est que les idéaux se barbarisent. Les jolis petits pois d’Emile ont germé d’une bien étrange manière[1]. Les forces en présence sont immenses, les élites sont décimées, il y a mille partis et factions qui se perdent dans des tourbillons d’intérêts, de peur et d’idées, on se déchire de partout et pourtant… Il y a toujours un général pour répondre à l’appel de la République, il y a toujours des hommes pour la levée en masse. On dirait que la France sait où elle va. Voila la musique que j’entends et la toile que j’ai sous les yeux quand je pense à l’année terrible… Cette impression si vive, je dois bien la devoir à quelque chose ? J’ai donc repensé à quelques évènements…

1793. Première question : où est Talleyrand ? C’est un réflexe, Révolution, République, Consulat, Empire,  Restauration, je me demande toujours : « Que fait Talleyrand ? » Et bien, il ne fait rien, justement. C’est donc qu’il n’y a plus rien à faire. Il est à Kensington et y serait bien resté si George III ne l’en avait chassé. Et que fait Fouché ? Il vote la mort de Louis XVI à Paris, puis il invente les exécutions collectives à Lyon, où il fait tirer au canon sur des groupes de condamnés enchaînés. « L'explosion de la mine et l'activité dévorante de la flamme peuvent seules exprimer la toute puissance du peuple », écrit-il à la Convention. Comme il aurait été heureux, sans doute, avec du zyklon B !  Talleyrand, juste ce qu’il faut et juste à temps, Fouché, tout ce qu’il peut et même un peu plus. Même Robespierre, l’Incorruptible, en est un peu choqué. Comme les mamans reprochent à leurs enfants d’avoir écrasé des coccinelles : « Mais enfin, pourquoi as-tu écrasé tous ces petits insectes ? » Les coccinelles, au fond, la maman s’en moque, c’est pour le principe : « tout de même, avait-il besoin d’écraser toutes ces coccinelles ? »

Le 21 janvier, on guillotine Louis XVI, ou plutôt, le citoyen Capet. Ironiquement, c’est le meilleur roi que la France ait eu, le meilleur des Bourbons sans doute. S’il avait fallu en exécuter un pour les guerres, les dépenses ou la licence des mœurs, ce n’était pas lui ! Avant de partir à l’échafaud, il fait jurer à son fils de ne jamais le venger. C’est ce qui s’appelle être confiant en l’avenir... Mais cela prouve aussi qu’il n’avait décidément rien compris. Comme si Louis XVII avait eu la moindre chance de monter sur le trône. Conjonction d’un homme trop bon, pas fait pour gouverner, d’un monde en transition et de beaucoup d’intrigants, qui n’ont pas vu qu’à force de tirer à eux des petits morceaux de la peau de chagrin, ils sciaient la branche sur laquelle ils étaient assis.

Le 6 février, Goldoni meurt à Paris. Fini de rire.  

Le 10 mars, est crée le Tribunal Révolutionnaire. Fouquier-Tinville devient accusateur public : une ombre entre en scène. Marat est à moitié fou, mais pas Fouquier. Il fait juste très bien son travail.  Comment finit Fouquier? Mais parce que son nom figure un jour en tête d’une liste, parmi tant d’autres. Il est si persuadé de son bon droit, qu’il se laisse prendre comme un enfant.  Au fait, à quoi ressemble la lettre de cachet du Nouveau Régime, ce morceau de papier qui vous envoie si directement à la mort ?

« L’Exécuteur des Jugements Criminels ne fera faute de se rendre *** à la maison de Justice de la Conciergerie, pour y mettre à exécution de Jugement qui condamne *** à la peine de mort. L’exécution aura lieu sur la place de *** de cette ville. L’ACCUSATEUR PUBLIC. ***. Fait au Tribunal, le *** l’an Second de la République Française.»

C’est juste cela : un formulaire pré-rempli. « ACCUSATEUR PUBLIC » en majuscules, s’il vous plaît. Mais « Exécuteur des Jugements Criminels » en minuscules. Un exécutant reste un exécutant.

Le 13 avril, Marat est arrêté à l’instigation des Girondins. La logique voudrait que j’écrive ensuite quelque chose comme « 17 avril, Marat guillotiné ». Mais non. Je dois écrire : « 24 avril, Marat acquitté », par ce même Fouquier-Tinville, rien que cela.Marat a la vie dure. Une femme la lui a donnée, une femme la lui reprendra. Le 13 juillet, Charlotte Corday le poignarde dans son bain. Que dois-je écrire ? « 17 avril, Charlotte acquittée » ? Et non. Le 17, elle monte à la guillotine. Une femme jalouse ou une maîtresse trahie ? Pas du tout. Une Judith des temps modernes plutôt. Chénier, qui ne lui survivra que d’un an, lui dédie un poème. « Toi qui crus par ta mort ressusciter la France. » Voila donc que la pucelle de Caen quitte sa province et se rend dans une ville inconnue pour tuer un inconnu, dont elle ne sait même pas où il habite. Drôle d’époque.

Début septembre, complot de l’œillet, la reine a failli s’enfuir de la Conciergerie. Failli. Comme toujours. On peut dire qu’elle aura beaucoup reçu, beaucoup comploté, celle qui, des années durant, ne daignait se mêler de politique. L’armoire de fer révèle sa correspondance avec Barnave, Mirabeau et beaucoup d’autres. Cette femme épuisée tente encore de fuir. Et son fils dans tout ça ? Je me demande à quel moment l’espoir est complètement mort en elle, car c’est ce jour là qu’elle est véritablement montée sur l’échafaud...

Le 5 septembre, c’est la Terreur. Voila qui a le mérite d’être clair. Un couvre-feu qui proclame : « on va tous vous massacrer ». On ? Qui est-ce ? Le peuple. C’est un cancer.

17 septembre 1793, la loi des suspects, la pire loi possible. Qui ne prouve pas qu’il est innocent est coupable et doit être tué. Ceux qui, à compter du 1er juillet 1789, ont respiré le même air qu’un suspect, seront suspects. Mais le plus dangereux avec toute loi, c’est son exécution. Par qui la loi des suspects est-elle exécutée ? Par les plus pires zélotes qui soient : les Comités de surveillance. La Commune de Paris se montre à la hauteur de sa réputation : « Ceux qui n'ayant rien fait contre la liberté, n'ont aussi rien fait pour elle ».

Le 25 septembre, le Chevalier de Saint Georges, le Mozart noir, est arrêté. On le soupçonne de sympathies royalistes, comme on suspecte tous les officiers après la trahison de Dumouriez. Chance dans ce monde absurde, il n’est pas victime d’un procès expéditif, il est juste oublié en prison. Il est relâché un an plus tard, quand le climat de terreur s’adoucit.

Le 16 octobre, Marie-Antoinette monte sur la guillotine. Avec légèreté sans doute, car elle est déjà partie depuis un moment déjà. Je retiens deux choses qui ont du lui coûter plus que de perdre un époux, un royaume, une couronne, la beauté, la santé, et même la vie. La première : de sa prison du Temple[2] elle entendait les comptines révolutionnaires que l’on faisait chanter à son fils. La voix de son fils de sept ans qui chante la carmagnole, voila ce qu’elle emporte à l’échafaud. La seconde : le Tribunal Révolutionnaire osa convoquer contre elle ce même fils au motif d’attouchements qu’elle aurait pratiqué sur lui. Si en plus elle avait su qu’on laisserait cet enfant seul dans une pièce sans fenêtre à pourrir avec ses excréments... On se prend à désirer ardemment qu’il y ait une « Notre Dame » quelque part à la quelle on puisse joindre son infinie tristesse.

Le 31 octobre, les Girondins passent à la guillotine. C’est la revanche de Marat qui intervient la veille du jour des morts. Le procès dure six jours, le Tribunal Révolutionnaire se repose le septième : vingt hommes à l’échafaud. Vingt, parce qu’un de ces députés, Vallazé, a jugé bon de se suicider en pleine audience. Il s’enfonce un stylet dans le cœur à la lecture du verdict. « Eh bien quoi, tu trembles ? », lui demande Brissot. « Non, je meurs. », répond-t-il fort logiquement. Normal. Les Montagnards, Marat et autres Robespierre ont donc provisoirement gagné.

Le 3 novembre, Olympe de Gouges est guillotinée pour ses sympathies girondines et pour avoir eu, en toutes circonstances, le courage de ses opinions. Elle réclamait le droit de monter à la tribune, parce qu’elle se savait le droit de monter à l’échafaud. Elle aura exercé les deux. Magistralement. Il faut lui reconnaître ce grand mérite d’avoir eu les mots justes : « le sang, même des coupables, versé avec cruauté et profusion, souille éternellement les Révolutions ».

Le 8 novembre, Mme Roland, grande amie et inspiratrice des Girondins, est guillotinée. Son procès s’était ouvert le matin même, elle a du assurer elle-même sa défense. Le contraire eût été étonnant. D’ailleurs, à la fin, on lui ôte même le droit de se défendre : c’était encore trop. En tant que fille de Philipon, il est normal quelque part qu’elle finisse sur une caricature de procès. « O liberté, que de crimes on commet en ton nom ! » 1793 est l’année de la formule... Mme Roland, Manon de son prénom, est un personnage intéressant : outre qu’elle exerça sur son mari le Président Roland une influence considérable, elle incarne la haine du bourgeois. Loin d’être une rude tricoteuse, elle a connu Versailles, dont elle garde le souvenir du mépris des grands. Marie-Antoinette a-t-elle jamais personnellement humilié ou méprisé Mme Roland ? Certainement pas. Mais c’est à cause de beaucoup de mépris que les Mme Roland détestent l’aristocratie. Il n’est pas étonnant qu’elle s’entendait avec Robespierre.

Le mois de novembre voit quelques décrets intéressants. Le vouvoiement est interdit en France. Cela a du faire drôle. L’Angleterre était en avance, une fois de plus[3]. Je souris toujours quand, dans une assemblée quelconque, on me dit : « le vouvoiement est interdit ici, tout le monde se tutoie ». Je sens comme une brise passer sur ma nuque… On adopte aussi le calendrier républicain, avec ses noms évocateurs « ventôse », « pluviôse », « fructidor », « frimaire » « nivôse »... Il y a une logique dans ce calendrier, tout de même. Sur le papier, tout est très logique en 1793. Les mois d’hiver se finissent en « –aire », comme frigidaire, les mois de printemps se finissent en « –al », comme banal, les mois d’été en « –or », c’est la couleur des champs de blé mûr, et les mois d’automne en « –ôse », comme névrose, ou comme ose, c’est selon. Bonaparte n’a pas fait son coup d’état un mois qui « ôse », mais un 18 brumaire, c’est probablement pour cette raison qu’il a failli échouer. Et le 9 thermidor, les petites termites de Fouché sont venues à bout de l’Incorruptible Robespierre. Ce qui est très drôle, c’est que les jours de l’année portent tous un nom différent, de préférence un nom de fruit, de légume ou d’instrument agraire. Cela remplace « avantageusement » les prénoms des saints qui y sont traditionnellement associés. J’aurais pu naître un jour charmant comme primevère de germinal (21 mars), mais, bien-sûr, il a fallu que je naisse plantoir de ventôse (20 mars). Probablement le jour le plus laid de l’année, à moins que ce ne soit la pulmonaire de pluviose (7 février). On doit fêter sainte Phtisie ce jour-là…

Le 11 novembre, bacchante de brumaire, Bailly est guillotiné. Feuillantisme, voila ce que cela coûte d’être un modéré. Le jour de sa mort est jour férié aujourd’hui, je suppose que c’est une grande consolation pour lui.

Le 29 novembre, au tour de Barnave. Il n’a que trente deux ans... « Messieurs, on veut vous attendrir en faveur du sang versé hier à Paris. Ce sang était-il donc si pur ? » C’est lui-même qui l’a dit. Barnave est coupable. Il a trahi. Il est entré en pourparlers avec les Tuileries, comme Mirabeau. La petite armoire de fer, qu’on découvre après la fuite de Varenne, renferme bien des correspondances. Les ardents défenseurs de la Révolution, tous compromis ? Est-ce de l’opportunisme, un reste d’attachement à la Monarchie, l’idée que les choses doivent être reprises en main, l’influence de Marie-Antoinette qui, sortie de son grand sommeil politique, n’eut de cesse de sauver sa couronne ? Cette compromission, qui coûta la vie à Barnave, aurait aussi emporté Mirabeau s’il n’avait eu le bon goût de mourir avant. Elle lui coûta tout de même l’immortalité : premier à entrer aux Invalides, temple de la Patrie reconnaissante, premier à en sortir. Grosse humiliation pour la République, presque comme la trahison de Dumouriez, héros de Valmy qui passe à l’ennemi…

Le 8 décembre, on traîne la Du Barry à l’échafaud. Son amie, Mme Vigée-Lebrun, souligne que c’est la seule femme à n’avoir pas supporté la vision de la guillotine. « Ne dites jamais de mal de vous, vos amis en diront toujours assez »[4]. Il me semble à moi qu’on la tire d’un autre siècle. Louis XV, c’est si vieux déjà ! Elle avait vingt-cinq ans à l’époque, elle en a cinquante en 1793. Comme on est injuste avec elle ! Marie-Antoinette, Dumas, la postérité... La Du Barry n’était pas une vulgaire, elle était belle voila tout. A elle aussi, on fait une cruauté particulière. Elle reçoit par la fenêtre la tête de celui avec lequel elle coulait des jours paisibles à Louveciennes. Elle reçoit par la fenêtre la tête de son amant. C’est ça qui est extraordinaire, il n’y a pas qu’à la guillotine qu’on coupe les têtes, la foule, dès qu’elle peut, les promène au bout d’une pique et voila qu’elle les balance par les fenêtres. « La France, ton café f** le camp ! »[5], s’il n’y avait que le café…

Le 10 décembre, Chaumette organise un Culte de la Raison à Notre-Dame de Paris. Voici donc la raison au milieu de tout ce chaos, elle doit se demander ce qu’elle fait là. Elle est patiente, elle supporte beaucoup de bêtise, elle entend dire tout et son contraire. Elle a l’habitude. Mais là, tout de même, elle a du être secouée d’un rire énorme. Quand la raison rit... la folie guette.

Le 23 décembre, les Vendéens sont exterminés à Savenay sous la botte de Westermann. Cadeau de Noël qu’il envoi au Comité de Salut public :

« Il n’y a plus de Vendée. Elle est morte sous notre sabre libre, avec ses femmes et ses enfants. [...] J’ai écrasé les enfants sous les sabots des chevaux, massacré les femmes [...] et n’ai pas un prisonnier à me reprocher, j’ai tout exterminé. »

Quel dévouement à la Cause, n’est-ce pas ? Et bien, même Westermann a été brièvement arrêté en mai, suite au passage à l’ennemi de Dumouriez, dont il avait été le lieutenant.   

Voila pourquoi je la trouve extraordinaire et fascinante cette année 1793. Fascinante comme les choses très laides ont le don d’attirer l’œil. C’est une année bien pauvre et sèche en matière littéraire et artistique. Elle est froide comme cette toile que David peint alors : La Mort de Marat. Elle me fait penser à la teinte du cadavre qui se vide dans la baignoire. Mais Hugo l’immortalise dans cette œuvre monumentale, Quatre-vingt Treize. Trois mots terribles. Un vieillard borgne qui boite avec une canne, on entend son pas hargneux. Tac-tac-tac… En quatre-vingt treize, on entend la foule, tantôt clameur lointaine qui court les rues, tantôt mer déchaînée, qui hurle de joie parce que les têtes vont tomber. On entend des voix, posées ou mal placées, graves ou hautes-perchées, fermes ou mal assurées, qui tentent de couvrir tout le reste.  C’est le temps de l’éloquence. On n’a jamais tant parlé. On parle, mais on ne discute pas. Discuter, causer, c’est Ancien Régime. On tonne, on hurle, on a de l’audace, comme Mirabeau. On s’écoute parler, et surtout on s’écoute applaudir… Et si l’on tend l’oreille, on s’entend aussi maudire, on ne sait plus… Et quand on sait, c’est qu’on entend déjà le couperet. Presque rien au début, glissement rapide et qui finit sa course par un bruit sourd qui coupe et puis qui claque. Confutatis maledictis, flammis acribus addictis[6]… A bien des lieues de Paris, cette année-là, on donne le Requiem de Mozart.



[1] Rousseau décrit une fleur de pois dans les Ecrits sur la botanique.

[2] Elle a été transférée à la Conciergerie avant son procès.

[3] Il n’y a pas de vous en anglais… Enfin, c’est vite dit, parce qu’il y a quatre « tu » en anglais moyen, qui permettent d’apporter quelques nuances. « Thou » et « thee », au singulier, « ye » et « you », au pluriel. Les lecteurs de Sonnets de Shakespeare l’ont appris d’une bien tendre manière : « Shall I compare thee to a summer’s day... » (XVIII)

[4] Disait ce cher Talleyrand qui avait beaucoup d’amis.

[5] On prête ces mots à Mme du Barry qui appelait familièrement Louis XV « La France ».

[6]« Quand les damnés parviennent au Jugement et qu’ils voués aux flammes. »

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14 mars 2011 1 14 /03 /mars /2011 01:19

 

 

le-bal-des-ardents3.jpg

Le Bal des ardents. 1393

(in Jean Froissart, Chroniques, XVème siècle)

 

 

 

 

La Duchesse de Dino, dont l’oncle par alliance n’était autre que Talleyrand, rapporte une anecdote qui m’a bien fait rire :

 

« Paris, 28 janvier 1836. – Nous dinions hier chez le maréchal Maison. [...] On parlait des bals nombreux et de la difficulté de savoir exactement le nombre des personnes qui s’y rendaient effectivement ; à cela, la Maréchale se mit à dire, à haute et aigre voix : ‘j’ai un moyen parfait, que j’ai toujours employé avec succès dans tous les bals que j’ai donnés : je place ma femme de chambre derrière la porte, avec un sac de haricots près d’elle, et je lui dis : ‘Mariette, à chaque personne qui entrera, vous prendrez un haricot du grand sac, et vous le jetterez dans votre ridicule’. »[1]

 

Les convives sont des haricots qu’on jette en ridicule. Bonne idée. Il y a un côté Hansel et Gretel à compter les gens avec des haricots. Qu’on les jette tous dans une grande poêle et qu’on les cuisine un peu ! On les fait bien danser, pourquoi ne pas les faire frire aussi? On l’a fait d’ailleurs, au bal des ardents[2]. La Maréchale dit cela avec tout le sérieux du monde, elle rapporte fidèlement les instructions données à la femme de chambre, « Mariette », puisqu’elle nous gratifie même de son prénom. Lorsqu’elles veulent se donner de l’importance, les « grandes dames » aiment montrer comment elles dirigent leurs gens. Elles aiment rapporter au mot pour mot les ordres qu’elles leur donnent avec ce ton supérieur, empreint d’une condescendance compatissante, car « vous comprenez, la pauvre est un peu sotte »... Le mot « ridicule » dans la bouche de la très sérieuse Maréchale n’a rien de sarcastique, on se doute que c’est ainsi qu’elle désigne un genre de sac-à-mains. D’ailleurs, la princesse Radziwill, qui a annoté l'édition,de 1840, n’a pas jugé bon de préciser quoi que ce soit à cet endroit : le mot devait être d’usage suffisamment courant à l’époque. Ce « ridicule » est en fait d’une déformation du mot « réticule », qui désigne un petit filet[3] et par extension, les petits sacs que portaient les dames. Mais si le « ridicule » est un petit sac, les propos de la Maréchale deviennent plus comiques encore : la femme de chambre va délicatement « prendre un haricot du grand sac », pour ensuite le « jeter » dans son ridicule, qui, suivant l’importance du bal, doit finir par être bien rempli. Mariette et le haricot magique.

 

Le Littré cite les Souvenirs de la marquise de Créquy :

 

 « Je vous ai déjà dit que les femmes avaient repris l'usage des sacs à ouvrage que les antiquaires appellent ‘réticules’, attendu que ceux des dames romaines étaient formés en filet de réseau ; mais les bourgeoises qui les portent disent toujours des ‘ridicules’. »[4]

 

Ah, ces bourgeoises, toujours à copier les mœurs des grands, mais jamais à la hauteur ! Un thème récurrent dans ce genre de correspondance. Toujours d’après le Littré, le terme « ridicule », employé au sens de « sac », aurait été d’usage sous le Directoire, à la toute fin du XVIIIème donc. Et bien, force est de constater qu’on avait toujours ses « ridicules » au milieu du XIXème... Et peut-être même qu’aujourd’hui encore, le terme serait bienvenu. Il faudrait  d'ailleurs indiquer à la jeune personne qui a traité un jour Madonna de « vieux sac ridicule » qu'entre « sac  » et « ridicule », il faut choisir. Le « vieux », en revanche, reste... Mais c'est bien là le propre du vieux.



[1] Duchesse de Dino, Chronique de 1831 à 1862, Volume II : 1836-1840, Plon, Paris, 1840

[2] Le 28 janvier 1393, aux petites heures du matin, les convives de Charles VI, qui s’étaient enduits de poix pour « jouer les sauvages » lors d’un charivari, se transforment en torches humaines. Le frère du roi avait voulu voir de trop près qui se cachait derrière les plumes et les poils d’étoupe agglutiné et il avait approché sa torche. On se souvient de cet évènement comme du « bal des ardents ».

[3] Les « rets » sont, en vieux français, les filets de pêche, du latin rete.

[4] Decourchamps, Souvenirs de la marquise de Créquy, t. IX, ch. V (in Littré, article « ridicule »)

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22 mars 2010 1 22 /03 /mars /2010 23:23


 

amis


"Tes amis? Enfermez-vous tous pendant une semaine dans une seule pièce, sans rien à manger...

Alors tu verras ce que c'est, les amis!"

Art Spiegelman, Maus (T.1)

 

 

 


La France redécouvre le mal ordinaire à ‘grâce’ à une émission de télévision. Zone Xtrême, le ‘jeu de la mort’ [1], voila comment on appelle cela. On est censé voir jusqu’où les gens sont prêts à aller lorsqu’ils sont ‘contraints’ ou du moins fortement incités par la télévision… Bien-sûr, je pourrais parler des expériences de Milgram, de celles menées dans une prison expérimentale à Stanford. Je pourrais dire que le problème de la soumission à l’autorité est en cause, qu’elle soit télévisuelle, académique, administrative ou même familiale. Je pourrais parler du monstre ordinaire, de la ‘banalité du mal’ engendrée par l’absence de pensée éthique, comme l’expose Hannah Arendt. Je pourrais suivre Max Weber et faire remonter cette ‘absence de pensée’ à la scission entre ‘pensée éthique’ et ‘pensée technique’ qui apparaît avec la Révolution industrielle.  Je pourrais évoquer les cas Fritzl et Eichmann et tant d’autres. Mais, pour comprendre le mal ordinaire, il faut ‘se faire étranger au présent’ comme dirait Nietzsche. Il faut surtout que la norme, la moyenne et la médiocrité vous dégoûte une bonne fois pour toute. Pour comprendre le mal ordinaire, celui qui n’est pas le fait des psychopathes et autres sociopathes, mais des gens qui  se complaisent, il faut en être dégoûté.

 

Pour éprouver ce grand dégoût, il suffit de se souvenir… Souvenir salutaire, je me fais de temps en temps une petite piqûre de rappel. Occupation, Résistance et Libération. Il faut se souvenir des flots de mal ordinaire que les trois, je dis bien les trois, ont engendré. Je ne parle pas des grandes idées, droite ou gauche, des gentils et des méchants, juste des gens ordinaires.

 

Que la France se souvienne comment, sous l’Occupation, des gens ordinaires ont profité, comment ils ont volé, usurpé, dénoncé. « On ne savait pas, on ne s’imaginait pas… on voyait une occasion et comme les temps étaient durs… ». On ne sait pas, mais on se doute. On ne sait jamais rien dans la vie de toute façon, on passe son temps à se douter. Etrangement, ce doute suffit en général à épouser celui-là plutôt que tel autre, à jeter de la nourriture qui a l’air périmée, à ne pas accepter un présent parce qu’on se doute « qu’il y a quelque chose de pas net derrière ».  

 

Que la France se souvienne de la passivité dégueulasse des gens ordinaires, des gens qui profitent, un peu mais pas trop. Etre un salaud à demi, c’est tout ce dont ils sont capables. Il y a un film de 1956, La Traversée de Paris où Gabin croque du collabo profiteur ordinaire :

 

« Non mais regarde-moi le mignon là, avec sa face d’alcoolique et sa viande grise… Avec du mou partout ; du mou, du mou, l’a que du mou ! Mais tu vas pas changer de gueule un jour toi, non ? Et l’autre là, la rombière, la gueule en gélatine et saindoux, trois mentons, les nichons qui dévalent sur la brioche… Cinquante ans chacun, cent ans pour le lot, cent ans de connerie ! Mais qu’est ce que vous êtes venus foutre sur Terre, nom de Dieu ? Vous n’avez pas honte d’exister ? » [2]

 

Que la France se souvienne comment à la Libération, des gens ont profité, comment ils ont volé, usurpé, dénoncé. Des gens différents des profiteurs de l’Occupation, parfois les mêmes, avec la même allégresse en tout cas. Ce n’étaient plus les Juifs et autres « nuisibles » que l’on dénonçait, c’étaient les « collabos » et les « salopes » qui avaient couché avec l’ennemi. « C’est des salauds, ils n’ont que ce qu’ils méritent». Sauf qu’on a dénoncé beaucoup d’innocents et quand bien même, comment ose-t-on justifier cette sauvagerie ? Et ce que la foule leur a fait… Ce que la sale foule dégueulasse leur a fait. Il faut absolument lire ce qu’en dit Audiard.

 

« Un escadron de farouches résistants, frais du jour, à la coque, descendus des maquis de Barbès, avaient surpris un feldwebel caché chez la jeune personne. Ils avaient – natürlich ! – flingué le chleu. Rien à redire. Après quoi ils avaient férocement tatané la gamine avant de la tirer par les cheveux jusqu’à la petite place où ils l’avaient attachée au tronc d’un acacia. C’est là qu’ils l’avaient tuée. Oh ! Pas méchant. Plutôt, voyez-vous, à la rigolade, comme on dégringole des boîtes de conserve à la foire, à ceci près : au lieu des boules de son, ils balançaient des pavés. » [3]

 

Occupation, Libération, Collabos, Résistants, même combat : le champ de bataille du salaud ordinaire! Cela ne se dit pas. Et alors ? Oui, il y avait des gens bien, des gens courageux, héroïques. Oui, il y avait des gens corrects qui se sont abstenus, qui n’ont pas profité, qui ont juste tenté de survivre (mince, mince frontière entre les deux, si vite franchie). Mais il y avait aussi toute cette masse de salauds. Et le salaud était peut-être majoritaire. Alors, il a fallu un grand exorcisme national, perpétué par des gens parfaitement athées ne leur en déplaise. Ce fut l’Epuration comme on dit, bien trouvé ce terme, il sonne presque comme de la propagande nazie. On va épurer un peu la France, la rendre pure donc… Pure de quoi ? Comment fait-on si les juges autoproclamés sont aussi coupables que ceux qu’ils jugent ? Et tous ces vantards qui disent « avoir pris des risques »… Les vrais courageux, les vrais héros ont tendance à être discrets. Ils se rendent compte que parfois, ce sont les circonstances qui ont fait d’eux des héros. Ils se rendent compte qu’ils ont parfois eu de la chance.

 

Et que dire de ces gens qui sont subitement devenus Résistants du jour au lendemain, en 1943 ? Ils aimaient tellement leur pays, qu’ils ont attendu que Moscou leur demande de le défendre pour ‘résister’. On lit la lettre de Guy Môquet dans les écoles. Un jeune homme mort pour la France. Un jeune homme qui avait adhéré à une idéologie, le communisme, qui l’a amené à perdre la vie. Le communisme aurait pu l’amener à tout autre chose. Mais cela, on ne le dit pas. Que dire des Résistants de 1945, des gens plein de bon sens qui ont senti que le vent tournait ? Que dire des Résistants post-Occupation ? Mais si, cela existe, ceux qui ont ‘découvert’ qu’ils avaient résisté bien après l’Occupation.

 

J’ai envie de vomir quand j’entends parler de la Résistance. Il y a fort à parier que ceux qui ont vraiment pris des risques sont morts d’une balle dans la poitrine ou restent silencieux sur leurs actions héroïques. Je vais vous raconter une histoire de Résistance, encore une histoire de gens ordinaires. Il y avait dans une de nos belles provinces françaises un petit groupe de jeunes hommes qui s’étaient institués des « Résistants ». Ils avaient réussi à obtenir des fusils, ils en prenaient grand soin et en étaient très fiers. Ils s’étaient réfugiés dans une ferme et ils résistaient ainsi. Ils jouaient aux cartes, leurs fusils déposés contre le mur. Ils ont été dénoncés. Etre dénoncé pour avoir joué aux cartes autour d’un verre de gros rouge, si c’ty pas triste ça ma bonn’ dame… Un de leurs camarades les a avertis qu’une unité allemande se rapprochait, mais ils ne pouvaient plus fuir. Alors ils ont pris leurs fusils et ils ont attendu, la boule au ventre. L’unité allemande est arrivée tout près. Une petite maison, un carrefour stratégique, tout à fait l’endroit pour cacher des Résistants.

 

Les vilains Allemands ont commencé à tirer sur la maison. Ils tiraient, ils tiraient. Et les Résistants regardaient. Parce que la maison n’était pas la ferme où ils étaient cachés. La maison, c’était celle d’un officier marinier démobilisé, et qui y avait laissé sa femme et ses quatre enfants. Les Résistants se sont dit que c’était le bon moment pour fuir puisque les Allemands étaient occupés et ils se sont discrètement éclipsés. Ouf ! Les enfants et la mère ont pensé à la même chose : fuir. Sauf qu’eux étaient dans la maison du bord de la route. Il y avait un garçon de douze ans parmi les enfants, un garçon qui savait « jouer à la guerre ». Il a dit à ses sœurs : « allez, il faut ramper ! » et il les a entraînées à l’autre bout de la maison, sous les balles. La mère n’a pas bougé, elle a pris des éclats dans les jambes. Le sang à commencé à gicler de partout. C’est fou comme le sang peut gicler par des si petits trous. Une des sœurs à pris un éclat, là, tout près de la carotide, et elle a vu son sang arroser le plafond. Elle avait cinq ans et elle a hurlé : « je vais mourir, je vais mourir ! ». Les vilains Allemands ont compris que ce n’était probablement pas la bonne maison. Ils sont entrés et ils ont vu… Ils ont vu qu’il y avait des balles et des éclats partout. Les chaises étaient toutes percées, le toit était tout percé, la marmite du repas était toute percée… Et puis dans les rais de lumière qui tombaient du toit, il y avait tout ce sang. On s’est occupé des enfants et de la mère. Et le soir quand il est rentré, le père, le sous-officier démobilisé, a du nettoyer tout ça. Dans le rôti de la marmite, il a même réussi à retrouver des éclats de balles.

 

Personne n’avait demandé aux Résistants et à leurs fusils de résister ce jour-là. Personne ne leur avait demandé de résister jamais. Personne ne leur avait demandé d’être courageux. Ce qui eut été appréciable, c’est qu’ils ne demandent pas à une mère et ses quatre enfants de l’être à leur place.

 

Maintenant je vais vous raconter une autre histoire, une histoire toute simple. C’est l’histoire d’un jeune homme de bonne famille toujours dans l’une de nos belles provinces françaises. Elevé dans un grand confort, il n’est pas spécialement prédisposé à supporter quoi que ce soit. Il se marie et a un enfant. Sa femme attend leur deuxième enfant quand la guerre éclate. Il devient officier de l’armée de l’air. Son avion est abattu, mais il a de la chance, il parvient à se poser. Il se pose en territoire ennemi, il devient prisonnier de guerre. On lui fait traverser l’Europe, on l’amène en Allemagne et là, on lui demande de travailler pour l’ennemi. Le jeune homme dit alors tout simplement : « je refuse ». On lui dit que s’il refuse, on va l’envoyer dans un camp et que de ces camps là les prisonniers ne reviennent pas. On lui dit que l’Allemagne va gagner la guerre et que lui restera dans ce camp, toujours. On lui raconte que là-bas, c’est sale, c’est froid, c’est humide, qu’on n’a pas à manger, à peine à boire. Qu’on travaille toute la journée, qu’on se ruine la santé, qu’on y attrape des maladies, qu’on y détruit ses genoux, ses mains… On lui dit qu’il ne pourra pas écrire à sa femme, ni avoir des nouvelles de ses fils. Il dit simplement : « je refuse ». Et il va dans ce camp. Il y reste jusqu’à la fin de la guerre. Parce que la guerre finit bien par finir, et que l’Allemagne ne gagne pas. Ses camarades sont morts, ou ils ont l’air d’avoir vingt ans de plus. Il rentre chez lui. Il ne reconnaît pas sa femme, ni son fils aîné, quand au plus jeune, qui a cinq ans, il ne le connait pas du tout. Il ne sait même pas quel prénom sa femme lui a donné, son fils l’appelle « Monsieur ». Cet homme n’a jamais dit qu’il avait résisté, qu’il avait été héroïque, qu’il avait défendu ceci ou cela.

 

 

[1] Emission sur France 2 du 17/03/2010 reprenant l’expérience de Stanley Milgram sur la soumission à l’autorité.

 

[2] La Traversée de Paris (1956), un film de Claude Autant-Lara avec Gabin et Bourvil.

 

[3] Michel Audiard, Le Figaro-Magazine, 21 juillet 1984. Rivarol 08/09 :

 

« On était bien content qu’ils arrivent, oui, oui, mais pas tant, remarquez bien, pour que décanillent les ultimes fridolins, que pour mettre fin à l’enthousiasme des « résistants » qui commençaient à avoir le coup de tondeuse un peu facile, lequel pouvait – à mon avis – préfigurer le coup de flingue.
Cette équipe de coiffeurs exaltés me faisait, en vérité, assez peur. La mode avait démarré d’un coup. Plusieurs dames du quartier avaient été tondues le matin même, des personnes plutôt gentilles qu’on connaissait bien, avec qui on bavardait souvent sur le pas de la porte les soirs d’été, et voilà qu’on apprenait – dites-donc – qu’elles avaient couché avec des soldats allemands ! Rien que ça ! On a peine à croire des choses pareilles ! Des mères de famille, des épouses de prisonnier, qui forniquaient avec des boches pour une tablette de chocolat ou un litre de lait. En somme pour de la nourriture, même pas pour le plaisir. Faut vraiment être salopes ! Alors comme ça, pour rire, les patriotes leur peinturluraient des croix gammées sur les seins et leurs rasaient les tifs. Si vous n’étiez pas de leur avis vous aviez intérêt à ne pas trop le faire savoir, sous peine de vous envoyer devant un peloton également populaire.

 

Je conserve un souvenir assez particulier de la libération de mon quartier, souvenir lié à une image enténébrante : celle d’une fillette martyrisée dentée, disloquée, le corps bleu, éclaté par endroits, le regard vitrifié dans une expression de cheval fou, la fillette avait été abandonnée en travers d’un tas de cailloux au carrefour du boulevard Edgard-Quinet et de la rue de la Gaité, tout près d’où j’habitais alors. Il n’y avait déjà plus personne autour d’elle, comme sur les places de village quand le cirque est parti. Ce n’est qu’un peu plus tard que nous avons appris, par les commerçants du coin, comment s’était passée la fiesta : un escadron de farouches résistants, frais du jour, à la coque, descendus des maquis de Barbès, avaient surpris un feldwebel caché chez la jeune personne. Ils avaient – natürlich ! – flingué le chleu. Rien à redire. Après quoi ils avaient férocement tatané la gamine avant de la tirer par les cheveux jusqu’à la petite place où ils l’avaient attachée au tronc d’un acacia. C’est là qu’ils l’avaient tuée. Oh ! Pas méchant. Plutôt, voyez-vous, à la rigolade, comme on dégringole des boîtes de conserve à la foire, à ceci près : au lieu des boules de son, ils balançaient des pavés. Quand ils l’ont détachée, elle était morte depuis longtemps déjà aux dires des gens. Après l’avoir balancée sur le tas de cailloux, ils avaient pissé dessus puis s’en étaient allés par les rues pavoisées, sous les ampoules multicolores festonnant les terrasses où s’agitaient des petits drapeaux et où les accordéons apprivoisaient les airs nouveaux de Glen Miller. C’était le début de la fête. Je l’avais imaginée un peu autrement. »


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26 février 2010 5 26 /02 /février /2010 18:55

J’inaugure une nouvelle catégorie… Je me suis dit qu’avec tout ce que je lis tous les jours, il ne me coûterait rien de retranscrire ce qui, dans l’actualité, a retenu mon attention. Ma « revue de presse » sera volontairement chaotique, désordonnée et à des années lumières de l’exhaustivité ou d’une quelconque rigueur. Elle concernera aussi le contenu des blogs ou des sites que je lis.

Le sujet No.1 : Gordon Brown harcèle ses collaborateurs, une hotline anti-harcèlement a reçu plusieurs appels provenant de Downing Street. Evidemment, il faut bien qu’il y ait quelque chose, s’il n’a pas de maîtresse, il faut qu’il violente ses collaborateurs.

Superman trick: 10c turns into $1m! Une BD de Superman vendue 1 million de dollars, sachant que le coup d’origine était de 10 cents. L’inflation sans doute. Pour 75 000 dollars de plus, vous pourrez vous offrir l’original de 1939 où Batman apparaît pour la première fois.

Malouines/Falklands : C'est reparti comme en '82. Tout ça pour… du pétrole, un forage au large de l’Argentine.

Cela vous est-il déjà arrivé d'accomplir mentalement un massacre à la Bowling for Columbine? Des étudiants américains du Colorado luttent pour le droit de porter une arme à feu.

Ce que lisent les héros de séries télévisés.  Un bon sujet qui en dirait beaucoup sur la société actuelle... Le téléspectateur lit le dernier torchon à la mode, sa série favorite lui fournit  un digest de la « vraie » littérature.

Meg Whitman, prétendante à la succession de Schwarzenegger au poste de gouverneur de Californie a choisi de porter un manteau Burberry's à une course de stock-car: c’est ce qu’on appelle une faute de goût. Elle va avoir du mal à égaler Sarah Palin dans la nullité politique, mais tout de même...

Commentaire d’un porte-parole de son rival, Steve Poizner: "Let's say you are an out-of-touch billionaire running for governor and everyone is accusing you of trying to buy the election. You need to show that you are in touch with regular working people, so you go to a Nascar race on a Saturday night. But was that a Burberry coat that Meg chose to wear to Nascar? Isn't that against some kind of unwritten rule? ” [The Independant]

La chef de l'église évangélique allemande (EKD), Margot Käßmann, conduit avec 1,5 gr d’alcool dans le sang... Mais bon, il faut lui pardonner, elle est une femme/évêque/divorcée/a eu un cancer (rayer la mention inutile). L’église évangélique lui a renouvelé son soutien, du reste elle a décidé de se retirer un peu des affaires. Et puis c’et bien connu : « Die Heiligkeit der Kirche bezieht sich nicht auf die Heiligkeit der Amtsträger » (la sainteté de l’Eglise ne repose pas sur la sainteté du ministre du culte, en d’autres termes, les membres peuvent être pourris, le corps reste sain) [Der Spiegel]

Please rob me ! Un site internet mis au point par un néerlandais montre de manière préventive comment des criminels pourraient utiliser les renseignements de Facebook et autre Tweeter pour planifier des cambriolages.


Et maintenant, cadavre exquis (ou presque) : Gordon Brown se prend pour Superman dans les Falklands en pointant une arme sur un héros de série télé moins bien habillé que Meg Withman et plus saoul que Margot Käßmann, allons vite sur Facebook et Tweeter relayer cette info exclusive!
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12 février 2010 5 12 /02 /février /2010 07:09


sois_toi.jpg



Faire la conversation, une nécessité. N’oublions pas que « la parole a été donnée à l’Homme pour cacher sa pensée ». Les gens se rencontrent, ils veulent faire connaissance, il faut se présenter. Qui suis-je ? Ce qui se résume à : « que fais-je dans la vie ? », il y a intérêt à éprouver une certaine fierté à l’égard de son activité (ou de sa non-activité) professionnelle. Parler travail amène à parler études lorsqu’on est jeune, famille lorsqu’on l’est un peu moins. Et puis, on en arrive vite aux loisirs, aux goûts et autres centres d’intérêts. Le sujet typique, du moins pour moi, la musique. Et là évidemment, les choses se compliquent, j’ai beau fréquenter des gens en général fort bien éduqués et fort bien mis, la musique classique, du moins la musique classique au sens où je l’entends, n’est pas si souvent leur tasse de thé. Or, ce qui est lassant dans les discussions plus ou moins mondaines, à savoir l’inconsistance et la superficialité des gens, devient franchement drôle lorsqu’il y a une « légère » ambiguïté sur la nature des relations possibles. Autrement dit : lorsque l’on intéresse une personne pour « plus si affinités », et qu’elle se croit obligée de souscrire à nos goûts…

En général, une ardente passion pour l’art art lyrique jette comme un léger froid. « Vous aimez l’opéra ? Ah, oui… Je vois. » Si j’ai envie de passer à l’ère glaciaire, nécessité en ces temps de réchauffement climatique, j’ajoute que « je sors très souvent à l’opéra, une fois par semaine en moyenne ». Cela n’est plus si vrai aujourd’hui, mais il fut un temps où j’avais le plaisir de fréquenter régulièrement les grandes maisons. Il faut s’imaginer la personne en face effectuant une rapide opération mentale. Se voit-elle à l’opéra en ma compagnie? Si l’on reformule la question de manière moins diplomatique: se laissera-t-elle traîner à l’opéra pour supporter des heures et des heures de Wagner ? Je lui dirais bien que non, aller à l’opéra n’est pas nécessairement comme se rendre au festival de Bayreuth. Et que non, il n’y a pas que Wagner qui ait quelques longueurs, Strauss n’est pas mal non plus dans le genre. Mais je laisse les choses se faire, je souris modestement, et je n’en pense pas moins.

Si j’annonce la couleur de manière moins radicale, en déclarant simplement que « j’aime la musique, en particulier le classique » (cela fait assez large d’esprit non ? et puis j’apprécie aussi d’autres types de musique, il faut être juste), j’ai souvent droit à un petit « moi aussi, j’écoute du classique ». Sauf que je n’écoute pas « du classique », j’écoute de la musique romantique, du baroque, de l’opéra, de la zarzuela, de la musique de chambre, de la musique symphonique, des œuvres sacrées, j’écoute des compositeurs, de Buxtehude à Vieuxtemps, dont la plus part des gens ignorent l’existence (et s’en portent très bien)… Enfin qu’importe, c’est juste lassant qu’au bout de deux minutes de conversation on apprenne que la musique classique se résume à Mozart-Bach-Beethoven et ne s’écoute qu’aux grandes occasions (comme pour la religion, autant de croyants non-pratiquants). Mozart-Bach-Beethoven, c’est fort bien (c’est divin même), mais c’est la partie émergée de l’ice berg, et puis encore faudrait-il nommer quelques œuvres, quelques interprètes…

Auprès d’un certain nombre de personnes, les romantiques, Chopin en particulier, ont du succès. Cela me fait toujours bonne impression, que l’on me réponde « j’aime Chopin ». Je poursuis donc sans trop d’illusions cependant : « J’écoute du Chopin aussi, quel interprète aimez-vous ? » Et là, en général, c’est l’avalanche, le blanc complet. C’est le risque lorsque l’on évolue en hors-piste. « Heu, je ne sais pas… J’ai ce cd à la maison… » D’accord mon bon ami. Je ne dis pas qu’on doit tout connaître : j’en découvre tous les jours, cela fait partie de la vie et heureusement. Mais aimer ce n’est pas juste connaître comme ça, citer Chopin parce qu’au fond c’est le seul compositeur qu’on ait écouté ces cinq dernières années. Une musique, c’est un compositeur, une œuvre, une mise en scène, une interprétation par des artistes à une certaine occasion (toutes les représentations ne se valent pas)…

J’ai remarqué que souvent une personne un tant soit peu cultivée qui n’apprécie pas tant que cela le classique, va répondre de façon fort habile: « Oui bien-sûr, il m’arrive d’écouter Glenn Gould ». Peut-être même aurai-je droit à une mention des Variations de Goldberg. Sony Classics a bien fait son travail, Glenn est en tête de leurs ventes. Glenn Gould c’est du classique décomplexé, in, trendy, le brin de culture qui fait raffiné, sans faire passionné (être passionné c’est mal : cela relève du délire artistique, ces gens qui n’ont pas les pieds sur terre et qui ne gagnent pas d’argent). C’est du classique qui tend vers le jazz, ce sont des œuvres pour clavecin interprétées au piano. C’est du classique pardonnable, socialement acceptable. Mais si on aime vraiment Gould, on sait en quoi son interprétation est différente, on a comparé. Si on aime les Variations, on les a entendues jouées par d’autres…

Enfin, peut-être que tout ce que j’écris est abominablement prétentieux. Pourtant, je ne juge pas les gens meilleurs ou moins bon qu’ils ne sont en fonction de leur culture ou de leur degré d’amour pour la musique dite « classique ». Je ne les juge pas du tout pour cela, de gustibus et coloribus non disputantur. Si je n’aimais pas la musique classique, je ne m’en cacherais pas. D’ailleurs, je peux très bien comprendre que l’on n’aime pas, que l’on trouve cela ennuyeux, que l’on pense que les chanteurs d’opéra hurlent (ce qui est vrai pour beaucoup). Question de sensibilité et d’éducation. Mais que l’on mette tout dans le même panier, quand même, n’est pas une preuve d’intelligence, ni d’ouverture d’esprit. Et puis il y a ce petit sourire qui passe entre gens aimant la « musique normale », celle que tout le monde écoute. Il y a toujours au fond cette idée qu’une personne qui « écoute du classique » est « chiante » et « vieux-jeu ».

Je comprends en outre que l’on veuille faire la conversation. En société, c’est nécessaire, deux mots par-ci, un sourire par-là. Je comprends que l’on tente de séduire en s’intéressant un minimum aux goûts de l’autre et en lui présentant une facette de nos goûts qu’il puisse apprécier. Mais il faut rester soi. Personnellement, j’ai du mal à éprouver des sentiments pour une check-list culturelle ou intellectuelle. Parfois je crois qu’il serait mieux de s’abstenir. Mais dans ce cas, on garderait souvent la bouche fermée, n’est-ce pas ? Sois belle et tais-toi ! Sois beau et tais-toi ! Exactement la même chose. La demi-mesure en matière de culture, de sensibilité et de profondeur de vue m’incite toujours à opter pour une franche superficialité... Au moins que l'on ait le plaisir  (ou qu'on s'évite le déplaisir) des yeux.

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3 février 2010 3 03 /02 /février /2010 09:47







La Saint Valentin approche, l’air fleure bon les messages commerciaux en tout genre pour nous le rappeler. Et oui, merchandising et amour libre font bon ménage. L’amour libre, expression post-soixante-huitarde consacrée, mais qu’est-cc que cela veut dire au juste ? L’amour est toujours libre, c’est nous qui ne sommes pas, et ne seront jamais, libres en amour... On généralise l’union libre, on facilite le divorce, soit. Mais on ne peut pas prétendre que cela « libère l’amour ». Certes, on est moins contraint de rester engoncé dans un mariage qui ne convient pas. Mais, cela ne veut pas dire que l’on va pouvoir aimer pour autant. Certes, on peut se mettre en ménage de manière très libre, mais cela ne veut pas dire que l’on puisse aimer plus facilement. La vraie liberté d’ailleurs, ce n’est pas de pouvoir être en couple sans être marié, mais de pouvoir ne pas être en couple. Ne pas avoir de partenaire, fusse-t-il du même sexe, c’est louche et c’est difficilement praticable à long terme passé 25-30 ans. Les amis sont en couple, difficile de ne pas sortir en couple, il y a une case sur le CV pour le couple.


Or, si l’on y réfléchit bien, la plus part des gens en couple n’ont pas ou plus de sentiments, le couple post-soixante huit n’est plus basé sur l’amour que le couple traditionnel ne l’était. Le couple, c’est une nécessité, alors on fait avec ce que l’on a. Cela permet de satisfaire une partie des besoins, physiques et sociaux, on fait au mieux. Le couple porte des projets, il permet de démultiplier les possibilités financières, d’élargir le réseau de connaissances, de s’insérer dans la société. Le couple est un contrat de location à plus ou moins long terme. Cela me fait penser à cette possibilité en Iran de contracter avec une prostituée pour une durée déterminée et selon des clauses déterminées.  A vingt ans on se met en couple parce qu’on est jeune et qu’il faut avoir une copine ou un copain, à quarante – cinquante ans, après un divorce ou l’échec d’une relation longue durée, on se remet encore en couple, parce qu’on est plus si jeune et qu’on pense à l’avenir.


L’amour libre ? Foutaise. Il est toujours aussi difficile de trouver une personne que l’on puisse aimer et qui nous aime en retour. Il est toujours aussi facile et nécessaire de s’engager dans une relation de couple sans amour véritable. Franchement, quelle est la différence entre une jeune fille des années 1950 qui veut quitter le foyer de ses parents et qui se marie en choisissant un jeune homme convenable parmi les connaissances qu’elle a et une jeune fille des années 2000 qui veut faire comme ses copines, comme les filles à la télé, et qui choisit un copain parmi  les connaissances qu’elle a ? Les deux peuvent se persuader qu’elles « sont amoureuses », les deux font avec ce qu’elles ont, avec leur cercle plus ou moins large de connaissances. L’une restera avec le mari jusqu’à ce que mort s’en suive (en théorie du moins, n’oublions pas que l’on n’a pas attendu l’amour libre pour que le divorce soit légal), l’autre changera de copain dans 6 mois, et en reprendra un autre selon le même processus. Et ce jusqu’à ce qu’elle grandisse un peu et qu’elle passe au copain longue durée, entre 5 et 10 ans. Ensuite, mariage ou pas, divorce éventuellement, couple toujours.


J’entendais l’autre jour une jeune fille d’une vingtaine d’année dans un café qui parlait de son copain avec une amie. « Est-ce que tu l’aimes ? » « Clairement non, mais on est habitués l’un à l’autre. L’autre soir, il est rentré avec un bouquet de mes fleurs préférées. Il s’était renseigné au près d’une amie. Ca m’a touchée. » « Vous avez grave des intentions l’un pour l’autre quoi. » [Innovante cette petite formulation du banal « vous êtes attentionnés l’un envers l’autre », non ?] « Oui, je ne sais pas si on va continuer comme ça, ça se passe bien entre nous, mais il n’y a rien ». Si c’est pour en revenir toujours au « mais il n’y a rien », quelle est la différence avec un mariage ?


Et oui, on est libre, la belle affaire ! Reste qu’il n’est toujours pas possible de vivre à long terme avec quelqu’un de trop différent de soi socialement ou culturellement parlant. Pas possible, parce que ça ne marche pas, tant pis pour les soi-disant contes de fées.  Les réussites se comptent sur les doigts de la main (heureusement qu’il y a des réussites). Il faut prendre en compte les familles, et les amis, la personne que l’on est en somme. Evidemment il y a les reportages bien pensants du genre Marie-Christine et Shlomo sont partis vivre en Israël (Shlomo fait une croix sur la judéité de ses enfants, Marie-Christine aura beau faire tout ce qu’elle voudra, elle ne sera jamais Esther, belle fille rêvée de sa belle-maman), Jean-Pierre a épousé Latifa malgré l’interdiction paternelle (qui de Jean-Pierre ou de Latifa a rompu avec sa famille et s’est converti?), Wilhelm et Anne ont de beaux enfants (que se passe-t-il si Wilhelm retourne vivre à Cologne avec les enfants ? Dommage pour Anne, le juge allemand ne donne jamais raison au conjoint étranger pour la garde des enfants). Oui, il y a des gens qui peuvent renoncer à leur famille et à leurs amis, changer de culture, de religion, de pays, de langue ou que sais-je. Mais contrairement à ce que l’on nous vend en permanence, ces gens-là sont rares. Il faut une grande acceptation, une grande souplesse, il faut se retrouver dans tous ces changements. On a tous besoin de repères, il est normal qu’un jour ou l’autre des difficultés surgissent. La naissance d’un enfant est souvent un élément déclencheur, quand la rencontre entre les belles-familles n’a pas déjà été fatale au couple.


Même au sein d’une même religion, deux personnes qui n’ont pas le même niveau de pratique peuvent rencontrer à la longue de sérieux problèmes. Le cas classique chez les catholiques : un mari non pratiquant voire athée avec une femme pratiquante fervente.  Le mari reste à la maison le dimanche matin, il trouve les bondieuseries de sa femme suprêmement agaçantes. La femme s’engage auprès de la paroisse, elle tient un stand à la kermesse, elle participe à l’animation de la messe. Elle trouve que son mari exagère avec ses expressions blasphématoires et elle craint que sa critique permanente n’atteigne la foi des enfants que bien sûr elle tente de développer. Il y a plusieurs variantes possibles ensuite. La femme peut sympathiser au cours d’une de ses nombreuses activités paroissiales avec un homme qui se trouve dans la même situation qu’elle. Au bout de quelques temps, ils se prennent à penser que ce serait formidable d’avoir un conjoint qui partage leur foi, un conjoint comme cette personne rencontré à la paroisse… Les deux en viennent vite à découvrir les joies du couple fervent, ils se sentent coupables de la même manière. Alternativement, le mari athée peut décider de sortir le dimanche matin pendant que sa femme est à la messe, pour aller faire un peu de sport avec des ami(e)s par exemple. Rien de plus sain qu’une activité physique régulière, n’est-ce pas ?


Force est de conclure que le concept d’« amour libre » n’a pas d’autre contenu que la liberté sexuelle. Et justement, la liberté sexuelle (pour autant qu’elle est possible, car les risques sanitaires sont bien là quand même) peut se concevoir de manière complètement indépendante de l’idée même d’amour.  Remarquons au passage qu’un homme qui use de sa liberté sexuelle peut toujours s’enorgueillir d’être un séducteur, Don Juan ou Casanova, mais qu’une femme qui en use est toujours une « pute » (le beau discours sur l’égalité des sexes a ses limites, d’autres l’on constaté avant moi). Les scénaristes de séries télévision œuvrent activement pour faire changer cela. Il y a bien une série britannique qui s’intitule The Secret Diary of a Call Girl et qui met en scène une prostituée parfaitement décomplexée. Evidemment, il y a un gros potentiel commercial sous-jacent, des marques de préservatifs aux marques de sex toys, on aurait vraiment avantage à ce qu’être une pute soit plus socialement acceptable, voire socialement valorisant ou carrément tendance. Mais, ne nous faisons pas trop d’illusions.


Imaginez un couloir de bureau, des collègues de travail (disons un groupe mixte) discutent à la machine à café. Ils parlent des aventures d’un collègue : « Quel séducteur ! » « Il faut reconnaître qu’il a quelque chose… » Ils en arrivent à une collègue en tout point semblable : « Si, si, je te jure, lui aussi, de toute façon c’est bien simple : toute la boîte lui est passé dessus. » « Vous avez vu comment elle s’habille aussi… Pas étonnant ! » Amen, amen je vous le déclare, il n’est pas arrivé le jour où on entendra « Quelle séductrice ! » « Il faut reconnaître qu’elle a quelque chose… » Jalousie féminine oblige, mais pas seulement. Parce que oui, les hommes et les femmes c’est différent. Même les enfants de la maternelle le savent. Il y a des différences. Cela n’implique pas que l’un soit moins bien ou mieux que l’autre, mais ce n’est pas la même chose. Est-ce que j’appelle de mes vœux l’abolition du statu de « pute » pour les femmes faisant usage de leur liberté sexuelle ? D’une certaine façon oui, parce que au point où on en est, je ne vois pas pourquoi un homme serait mieux considéré pour une même action.


Alors finies les paroles pleines de bon sentiments sur les petits couples modernes fondés sur l’amour alors que l’antique mariage était « arrangé », fondé sur les vilaines conventions. Je ne suis pas réactionnaire. Rien ne saurait plus m’énerver que « c’était mieux avant », si ce n’est « c’est mieux maintenant ». Je suis réac’ chez les modernes et moderne chez les réac’. L’amour libre n’a de sens que chez les vrais anarchistes, chez les autres, ce n’est qu’une nouvelle forme du couple, une hypocrisie ou comme disait La Rochefoucauld, « un hommage que le vice rend à la vertu ».



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9 août 2009 7 09 /08 /août /2009 18:24





Alice au Pays des Merveilles, classique du livre pour enfant s’il en est, a l’avantage d’introduire un certain nombre d’éléments de mathématiques et de logique. Cela n’est guère étonnant si l’on considère que son auteur Lewis Carroll (1832-1898) était avant tout un mathématicien. Comme le Chapelier fou est pour quelque raison obscure, cher à mon cœur, je me propose d’expliciter brièvement ici le fameux « non-anniversaire » en tant qu’il renvoi aux théories des mathématiques probabilistes. L’explication ne fait appel qu’à des concepts et à des exemples extrêmement simples que toute personne qui a un temps soit peu étudié les mathématiques connaît et que toute personne douée de bon sens peut comprendre aisément, sans rien connaître à ces mêmes mathématiques.


Le non-anniversaire et la notion d’ensembles complémentaires


Le non-anniversaire désigne tous les jours qui ne sont pas le jour anniversaire. Ce qui correspond en mathématiques probabilistes au « complémentaire » de l’anniversaire dans l’ensemble « tous les jours de l’année ». On a clairement en effet, comme l’explique le Chapelier fou à Alice :

365 jours de l’année = 364 jours de non-anniversaire + 1 jour anniversaire


Les ensembles complémentaires dans la théorie des ensembles


Le mot « complémentaire » n’a de sens que dans un ensemble donné. Car, sur un autre ensemble que « tous les jours de l’année », le complémentaire de « jour anniversaire » peut être différent.

Par exemple, dans l’ensemble « meilleurs jours de l’année » le complémentaire de « jour anniversaire » sera l’ensemble des « journées heureuses » sauf le « jour anniversaire ». Cet ensemble complémentaire comptera par exemple les journées de vacances et les journées où l’on a fêté un succès. Ce qui représentera peut être 10 journées, peut-être 15, peut-être plus, peut-être moins. En tout cas, pas nécessairement 364 journées comme le complémentaire de « jour anniversaire » dans l’univers « jours de l’année ».

Si jamais le complémentaire de « jour anniversaire » dans l’ensemble « jours de l’année » était le même que dans l’ensemble « journées heureuses », qu’est-ce que cela signifierait ? Cela signifierait que nous avons eu une année très heureuse où « meilleurs jours de l’année » = « tous les jours de l’année ».


Intérêt en probabilités

Mais quel est l’intérêt du complémentaire ? Pourquoi le non-anniveraise peut-il être utile ? L’utilité intervient dans le cadre des probabilités.
Rappelons que la probabilité d’un événement simple est une fraction :

P (un événement) = (Nombre possibilités correspondant à l’évènement)/ (L’ensemble des possibles)

Par exemple : quelle est la probabilité, si je choisis au hasard un jour de l’année dans le calendrier (en suposant qu'il y ait exactement 365 jours dans l'année), de tomber sur votre anniversaire ?

P (choisir le bon jour) = (1 jour anniversaire « gagnant »)/ (365 jours possibles parmi lesquels je peux choisir)
C'est-à-dire que la probabilité p de l’événement mentionné est de 1/365.

Maintenant, quelle est la probabilité que je me trompe, que je perde en tirant un jour qui n’est pas votre anniversaire ?

Il y a deux façons de voire les choses et de résoudre le "problème":

- Par le dénombrement de l’ensemble

P (choisir le mauvais jour) = (Nombre de jours perdants à tirer)/ (365 jours possibles parmi lesquels je peux choisir)

Bien sûr, on dénombre facilement l’ensemble des « jours perdants », qui sont au nombre de 364, puisqu’on a qu’un seul jour anniversaire dans une année. Et donc bien sûr, la probabilité p de se tromper est de 364/365.
Remarquez que l’on a pris le complémentaire de l’évènement « choisir le bon jour » en d’autres termes « choisir le jour anniversaire » qui est « choisir le mauvais jour » en d’autre termes « choisir n’importe quel jour mais pas le jour anniversaire ». On a dénombré l’ensemble « n’importe quel jour mais pas le jour anniversaire » instinctivement en faisant « 365 jours – 1 jour = 364 jours » et on a divisé par le nombre de jours parmi lesquels on pouvait choisir soit 365 afin d’obtenir la probabilité.

La théorie généralise la démarche intuitive en disant que pour dénombrer un ensemble non-A complémentaire de A dans l’ensemble B, il suffit de dénombrer B et A et de soustraire car : A + non-A = B

- Directement en termes de probabilités

On peut suivre la même démarche plus rapidement en disant d’emblée que comme A + non-A = B,

p (A) + p (non-A) = p (B)

En effet, p (A) est la probabilité de l’évènement A, c'est-à-dire (le nombre de éléments de A) / (l’ensemble des possibles B). Avec l’exemple, on a (nombre de jours gagnants)/ (365 jours possibles parmi lesquels je peux choisir). De même p (non-A) est la probabilité de l’évènement non-A, c'est-à-dire (le nombre de éléments de non-A) / (l’ensemble des possibles B). Soit (nombre de jours perdants)/ (365 jours possibles parmi lesquels je peux choisir). Quand à p (B), c’est (le nombre des éléments de B) / (l’ensemble des possibles B) soit (nombre de jours de l’année)/ (365 jours possibles parmi lesquels je peux choisir). On voit aisément que p(B) = 1, avec l’exemple, p(B) = 365/365.

On a donc : p(A) + p(non-A) = 1

Nous voulons p (non-A), on voit que d’après l’équation : p (non-A) = 1 – p(A)

Donc si l’on a calculé p(A), on a directement p(non-A).  Dans l’exemple, on aurait : p (jour perdant) = 1- (1/365) = (364/365)

Ainsi, en mathématiques, si l’on ne peut dénombrer A ou non-A, il faut s’intéresser au complémentaire dans l’univers des possibles.

Exemple : J’ai un paquet de 32 cartes, j’y tire une carte au hasard, quelle est la probabilité que cette carte soit de valeur inférieure ou égale à de la dame ?

Il y a plus de cartes au-dessous qu’au-dessus de la dame en valeur. On a donc avantage à dénombrer les cartes au-dessus, c'est-à-dire à étudier l’événement contraire : probabilité que la carte soit de valeur strictement supérieure à la dame. Le roi, et l’as sont strictement supérieurs, sachant qu’il y a 4 cartes de chaque sorte dans un paquet de 32 cartes, le paquet comporte 8 cartes de valeur strictement supérieure à la dame (4 rois et 4 as).
1 – p(non-A) = p (A) donne ici : p = 1 – (8/32)= 24/32 = 3/4 On a donc 75% de chances de tomber sur une carte de valeur inférieure ou égale à la dame.

The Mad Hatter.
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16 mai 2009 6 16 /05 /mai /2009 13:40


 


Le sens. Tout le monde est à la recherche du sens. Le bonheur y est subordonné.

Or, comme le disait Pascal dans une de ses formules bien senties : « tous les hommes recherchent d’être heureux cela est sans exception […] jusqu’à ceux qui vont se pendre ». Certains trouvent du sens dans ce qu’ils appellent « leurs racines », ce que j’appelle la recherche du sens dans le passé ou dans le passif, merci à la langue française de lier ainsi les deux mots. D’autres dans ce qu’ils appellent « leur futur », ce qui est aussi une recherche du sens dans « l’action », - je dirais bien « l’actif », si ça ne sonnait aussi mal -. Et à cela, comme un lierre, est agrégé un immense vecteur de sens : la religion, qui est passé et présent et même au-delà.

           

Dieu sait à quelles folies cette recherche de sens peut mener. La raison tient en un mot : égoïsme. Je dis cela sans jugement. « Egoïsme » sonne comme une volonté conquérante d’oublier autrui : l’« égoïsme » dont je parle, c’est l’oubli. C’est tellement facile d’oublier autrui, d’oublier qu’il est comme nous, qu’il sent aussi et souffre aussi. Rousseau nous dirait que notre recherche de sens devrait s’arrêter ou commence la liberté d’autrui dans sa propre recherche. Hannah Arendt nous dirait que c’est abdication de notre pensée éthique qui est à redouter, non pas dans la recherche de sens, mais dans la découverte d’une voie à suivre.  Je dis humblement : n’oublions pas autrui.

                                                                                                         

Le sens dans les racines qui sont à la fois passé et passif, pourquoi pas ? Pourquoi pas s’identifier à morceau de terre qui sera aussi content de nous servir de linceul qu’il l’a été de nous servir de berceau. Pourquoi pas se reconnaître dans une « nation », une culture, une langue… Toutes les chansons « nationalistes » sont belles, entraînantes, empreintes de fierté, elles réchauffent le cœur. Et puis, il y a la noblesse des « causes perdues ». Je dis bien  causes « perdues », comme « perdues d’avance » mais aussi « perdues » comme dans Les Aventuriers de l’arche perdue. Les causes à « déterrer » à « excaver », ce que j’appelle « l’invention du passé ». Il y a aussi le plaisir de critiquer son époque « dépravée », de se sentir différent, au-dessus du lot et enfin, de se sentir unis à ses frères d’opinion.

 

La plus part des nationalismes sont de joyeux syncrétismes. Peut-on mélanger Léon Degrelle, le Maréchal Pétain, Augusto Pinochet et tant d’autres figures réunies sous cette même bannière : « ils ont aimé leur pays » ? « Ils ont aimé », pour un peu on entendrait Lamartine. Mais il y a tellement de façons d’aimer, demandez aux tueurs d’enfants. Peut-on mélanger les mythes celtes, les vestiges de l’occupation romaine, le catholicisme et tout ce qui a daigné fouler une terre au cours de l’histoire et qui tire sa valeur de son antiquité ? Les « causes perdues » sont manipulées par certains, qui en plus d’en faire l’objet qui les dispense de chercher plus loin le sens, en font leur pain quotidien. Pas de mal à cela. On est content d’être manipulés, de servir la Cause. Que ferait-on sinon ?

 

Petit cas particulier de la recherche du sens dans le passif : le sens du sang, l’aristocratie, ou en un sens plus général, la classe, la caste. Nous perpétuons tous plus ou moins quelque chose de nos « racines ». Le supporter d’Arsenal perpétue son club comme l’a sans doute fait son père. Le Breton transmet l’amour de la Bretagne. Et que transmet l’aristocrate ? La grande question. Il est censé transmettre quelque chose, c’est déjà tout. L’homme du commun transmet gentiment ce qu’il peut, pour peu qu’il soit intellectuel, il transmet une vision structurée du monde et de la culture, pour peu qu’il soit croyant, sa religion. Mais l’aristocrate doit se perpétuer, bien plus que l’homme du commun. Il vous dira bien volontiers que ce qui compte, « c’est l’aristocratie du cœur », mais vous n’épouserez pas sa fille. D’un point de vue purement eugéniste « it makes sense », comme disent les Anglais. Préserver un certain degré de pureté, la « race ». C’est une idée nazie, qui a assez bien fonctionné dans les Lebensborn, ces haras où l’on faisait s’accoupler les dignes représentants de la race aryenne. Seulement l’aristocratie s’y prend horriblement mal et les Nazis n’avaient pas les outils. Il faudrait une étude attentive des gènes. Et non, on se contente de marier des cousins pour des raisons d’alliances de rang et de pouvoir.  Et on en vient à la consanguinité, à l’idiot des « grandes familles », au mal de Hesse. Qu’est-ce que l’aristocrate ? C’est celui dont un ascendant a été anobli. Je ne dis pas « a réalisé un exploit ». Il y a tant de manières d’être anobli. Amusant comme cet ancêtre « remarquable » prend de l’importance, comme son souvenir survit à celui de ses pères, de ses cousins, et des génitrices de la famille. Hélas, les cancres aux parents brillants en ont fait la douloureuse expérience, un « remarquable » ascendant ne garanti rien quand aux descendants. Sauf la déception. Bien sûr. Ais-je dit déception ? Je pensais peut-être à l’anglais deception, qui signifie tromperie. Une vaste mascarade.

 

Je crois qu’il existe des aristocrates remarquables, parce qu’il existe des hommes et des femmes remarquables. Des hommes et des femmes qui comprennent pleinement qu’ils sont nées avec un appendice en plus, une particule, tout comme ils auraient pu naître avec un doigt en plus à quelques kilomètres de Tchernobyl. Des gens lucides voilà tout, ou des gens très aimants. Les grandes qualités de cœur évitent bien des pièges de la bêtise, dont celui de se sentir supérieur.

 

Reste bien évidemment à différencier les « vrais aristocrates » des « faux aristocrates ». Tâche à laquelle certains s’attachent, fort élégamment, s’éparpillant en infinies variations sur les quartiers, la légitimité, le rang et les titres. Voltaire s’en est déjà amusé dans son Candide avec les quatre-vingt dix-neuf quartiers de noblesse de la belle Cunégonde. C’est fort plaisant, ce qui était risible à l’époque s’est bonifié avec le temps, comme le bon vin. Noblesse de l’Ancien Régime, noblesse de robe, noblesse d’Empire, quartiers dilués par les alliances avec la bourgeoisie… Combien de familles nobles peuvent se dire nobles ? Je ne fais même pas allusion à l’intervention des valets de cuisine pouvant à l’occasion seconder les maris trop occupés par le jeu ou la chasse des filles de cuisine. Il faut être aveugle pour ne pas voir le sourire de Beaumarchais.

 

Mais je ne critique pas cela. Il faut des classes dirigeantes, toute société a sa hiérarchie, et, elle se perpétue, c’est humain. Au détriment des autres, c’est trop humain. Pensons l’aristocratie en un sens large. Une hiérarchie fondée sur le pouvoir et l’argent, Talleyrand et Fouché, le vice appuyé sur le crime, ou est-ce l’inverse ? Elle surgit immanquablement dans les sociétés neuves, comme celle des Etats-Unis : l’aristocrate c’est le riche, le nouveau riche au début, puis le riche d’ancienne extraction. Il ne suffit plus d’être riche bientôt, il faut « servir la communauté », payer l’arbre de noël géant qui illumine New-York, c’est Rockefeller, être mécène, c’est Guggenheim. Dans nos « vieilles » sociétés européennes, qu’on supprime l’aristocratie et une autre surgit. Hydre aux mille têtes, si je puis dire. C’est le constat du pauvre Marat, qui trouvait son sens dans la Révolution : « Qu’aurons-nous gagné à détruire l’aristocratie des nobles si elle est remplacée par l’aristocratie des riches ? ». Il haïssait les aristocrates, mais comme il pouvait aussi haïr les bourgeois ! L’aristocratie, encore, avait une certaine tenue, une « étiquette », certes superficielle, mais comme un décor de théâtre, elle avait de la grandeur. La bourgeoisie, c’est Mme Sans-gêne. Je ne peux m’empêcher de proposer une petite mise en parallèle entre Le Vitrail d’Hérédia et Bourgeois de Paris de Dostoïevski, un des rares auteurs qui réussisse à me faire éclater de rire. Le premier réussit à concentrer toute la noblesse, la beauté et l’élévation de l’aristocratie fantasmée en quelques vers :

« Cette verrière a vu dames et hauts barons

Etincelants d'azur, d'or, de flamme et de nacre,
Incliner, sous la dextre auguste qui consacre,
L'orgueil de leurs cimiers et de leurs chaperons ; »

 

Le second croque littéralement son bourgeois :

 

« En général, le bourgeois est loin d’être un idiot, mais il a l’esprit comme un peu court, pour ainsi dire — par extraits. Il garde en réserve une quantité incroyable de conceptions toutes faites, comme autant de bûches pour l’hiver, et il a sérieusement l’intention de vivre avec pendant au moins mille ans ».

 

Mais le bourgeois n’est pas si différent en fait. Il se marrie selon la « loi de l’égalité des poches », comme l’aristocrate se mariait selon la loi de l’égalité du rang et dans une large mesure, de la fortune, toujours, le pouvoir et l’argent cherchent à se perpétuer. Je pourrais présenter une aristocratie dégoûtante corrompue et consanguine et la confronter à l’honnête bourgeois avec sa tendre femme et ses doux enfants. Qu’est-ce qui serait le plus vrai ? Tout ceci pour dire que l’ordre de la société est immuable en ce sens que tous ne peuvent diriger et qu’une classe dirigeant succède immanquablement à celle que l’on supprime. Les lois sont injustes, que ce soit celles de l’Ancien ou du nouveau régime. Pour un Pascal, c’est là le signe de la persistance de l’haïssable « péché ». Mais qu’importe la cause de cet état de fait, ce qui compte c’est que « rien, suivant la seule raison n’est juste de soi ; tout branle avec les temps ; la coutume forme toute l’équité par cette seule raison qu’elle est reçue : c’est le fondement mystique de son autorité. Qui la ramènera à son principe l’anéanti ». Il en est de même de toute classe, caste ou domination. La coutume en est le fondement. Seule, peut-être, fait exception la domination d’un esprit génial sur les autres esprits de son temps.

 

Pas de progrès, mais une stabilité, désespérément plate et continue. Bonne nouvelle : notre époque n’est ni plus ni moins corrompue qu’une autre. Mauvaise nouvelle : nous allons rester à ce même niveau de stabilité jusqu’à ce que le dernier homme meure sur terre. Les actions remarquables sont toujours possibles à titre individuel, n’entrons pas dans un déterminisme. Mais considéré comme un tout, les sociétés humaines sont au même niveau. C’est un Juif qui le dit, pour lequel j’ai la plus grande révérence : le grand Moïse Mendelssohn, grand-père de Félix, le génial compositeur et chef d’orchestre. Il ne pouvait imaginer la Shoah. Et on me l’objectera fort intelligemment : est-ce qu’il n’y a pas là une discontinuité, un saut de la courbe vers des niveaux d’horreur jamais égalés ? Deux éléments à ma réponse. D’une part, on me passera les comparaisons tendant à déterminer si dans les tortures romaines, dans les supplices orientaux, ou dans les vulgaires massacres qui suivent le passage des soldats en pays conquis, il n’y a pas un degré égal d’horreur. D’autre part je dirais que jamais l’horreur n’avait été pensée, théorisée, et organisée ainsi. Jamais à cette échelle.  Il lui fallait l’ère industrielle, l’ambiance d’usine, le Zyklon B et les chemins de fer. On reconnaît donc la spécificité de l’horreur. Est-ce à dire que la courbe n’est pas encore continue ? La question reste ouverte.

 

A vrai dire je trouve cette idée que finalement en additionnant toutes les exactions et toutes les « bonnes » actions –avec toute l’ambiguïté du terme-, la somme est nulle ou du moins constante, utile et agréable. Utile et agréable, parce qu’il serait agréable dans un dîner mondain quand on entend « c’était mieux avant » de répondre : « comme le disait Moïse Mendelssohn... Vous connaissez, bien sûr. Vous n’avez rien contre ce grand penseur juif, bien sûr. » Notre frustré bien pensant ne s’opposera pas. J’ai dit dîner mondain, pas réunion nationaliste. Là il aurait fallut citer le Maréchal. Je m’abstiens, je ne froisse personne. Chacun donne du sens à sa vie comme il peut. Ce n’est pas à moi de juger, pourvu qu’on ne me juge pas et qu’on n’empiète pas sur ma liberté. Sustine et abstine, supporte et abstiens-toi. Mais je ne m’empêche pas de penser.

 

Que dire de ceux qui cherchent leur sens dans le futur ? La fuite en avant ? Cette attitude est l’apanage du savant fou et de l’homme d’affaire pressé. Il leur faut bâtir, créer, accumuler, amasser, laisser une trace. On a là une forme d’individualisme, qu’on ne retrouve pas chez les ceux qui cherchent du sens dans le passé. Ceux-là veulent perpétuer, préserver, protéger. Si un Nazi rêve d’un Reich de mille ans, ce n’est que pour rendre justice à ce qui est déjà, une race millénaire, la race aryenne. Mais tous sont toujours tentés de suivre les rails de leur cause. Sans mauvais jeux de mots, pour certains cadres pressés suivre les rails peut atteindre une dimension très prosaïque. On cherche du sens pour s’empêcher d’avoir à en chercher. De même qu’on cherche à satisfaire son désir pour ne plus avoir à désirer. Peut-être que l’on oubli que c’est la recherche elle-même qui est intéressante.

 

Certes, un certain nombre de personnes ne cherchent pour ainsi dire jamais, puisqu’ils suivent directement les rails sur lesquels on les a placés. Enfin, ils cherchent quand même des raisons pour continuer à suivre ses rails, pour prouver que leur cause est la meilleure. L’éternelle question du croyant au chevet d’une personne aimée qui a subi l’indicible : comment justifier que Dieu ait laissé faire cela ?

Il est sans doute bon que la plus part des gens suivent toujours les mêmes rails car quelle est l’alternative ? Dérailler ? Tenter un savant aiguillage ? On est toujours prisonnier du réseau ferroviaire, toujours à la recherche d’un sens. Même la plus déchaînée de toutes les party girl, même le plus terrible Don Juan qui fuit dans un tourbillon de plaisirs, se pose la question : à quoi bon ? Pourquoi ? Ils ne se la posent pas souvent et on une réponse implacable: vivons ! « Vivre fou et mourir sage ».

 

Un moraliste condamnerait cette attitude et dirait qu’il faut penser dès maintenant, se repentir aussi, c’est un autre chapitre. Trouver un sens, s’y tenir, en changer, progresser, stagner… Je vois surtout beaucoup d’Hommes qui souffrent et qui tentent, comme les petites tortues marines qui viennent d’éclore, de faire leur chemin. Cette image sympathique pour nous rappeler que juger ces efforts est déplacé. En revanche, ce à quoi ils mènent, le résultat de certaines recherches est atterrant. La bêtise, le mépris, la suffisance, la violence et l’ignorance semblent s’allier dans une de ces danses macabres que l’on peignait pendant la grande peste. Le relativisme a du bon, il nous évite de condamner à tout bout de champ ceux qui trouvent un sens différent du notre, seulement, il doit être lucide, et voir aussi comment tous ces sens se comportent.

Le sens ne donne pas la vie. Il donne une raison de vivre et ultimement une raison de mourir, c’est très différent. On peut s’estimer heureux quand il s’en tient là, et qu’il ne donne pas en plus de raison de faire mourir.


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2 mai 2009 6 02 /05 /mai /2009 16:34




 
Emily est une adolescente de 13 ans qui passe sa vie à s’ennuyer en compagnie de ses meilleurs amis, quatre chats noirs, allusion plus ou moins crédible aux rituels sataniques et au « côté obscur ». Elle s’habille en noir, et sa peau très blanche forme un contraste tout à fait « gothique » avec ses cheveux noirs.

 

Emily a été initialement crée en 1993 par Bob Reger afin de promouvoir la marque de Skate-board Cosmic Debris à Santa Cruz. Emily the Strange reprend en fait un personnage, Rosamund, qui apparaît en 1978 sous la plume du dessinateur Marc Simont dans un livre de la collection pour enfants Nate the Great. Au moment de sa « création » par Bob Redger, Emily était destinée à décorer des autocollants de la marque Cosmic Debris  distribués dans les boutiques de skate-board et lors de concerts. Elle est assez rapidement devenue l’emblème de la marque et s’est ainsi retrouvée sur ses vêtements et ses autres produits dérivés.


 
 
Emily the Strange : une marque pour anti-conformistes… copie de Rosamund, personnage de la série des Nate the Great


C’est en 2003 qu’Emily a eu droit à son premier livre, dans les tons rouges et noir, signe distinctif. On y retrouve les thèmes de l’ennui - en témoigne le titre français du premier tome de la bande dessinée : Morte d’ennui -, du désespoir lucide et blasé, des considérations morbides chers au mouvement gothique. L’auteur y illustre, avec ce qui se veut être un humour cynique, les quatre mots d’ordre d’Emily : « écouter, parler, penser, être ». Ce qui donne en pratique : « sois toi-même, pense par toi-même, fait tout toi-même » et bien sûr, sa phrase préférée : « get lost », dont la traduction polie serait « va voir là-bas si j’y suis ». Comme on peut le voir sur son site Internet, « Emily ne dit pas de gros mots, elle maudit », de quoi lui donner un cachet « gothique » si les chats noirs et la tenue ne suffisaient pas déjà.


La marque se décline aujourd’hui en vêtements et accessoires en tout genre, notamment en matériel scolaire, car quel est le lieu où l’on s’ennui le mieux, si ce n’est l’école ? Emily the Strange est donc l’équivalant d’obédience non-conformiste de marques à succès telles que Hello Kitty ou Pucca.  Paradoxalement, même si elle se moque de la mode et porte toujours la même robe noire, des créateurs de mode se sont intéressés à son style, et non des moindres, puisqu’il s’agit de Jean-paul Gautier, Valentino ou Marc Jacobs. Son site Internet le mentionne et publie les pages des magazines associés, tout en précisant qu’Emily « s’en fiche totalement ».

 

 

Une page de V magazine en 2003 avec une série d’ «Emilies », mannequins habillées à la Emily the Strange avec les incontournables chats noirs.
 

Finalement, « Emily est tellement anti-cool, qu’elle est cool... elle a sa propre culture et ne copie personne, sinon elle-même ». Pour conclure sur une note « strange » : « peu importe là où tu vas… pourvu que tu te perdes ».

 

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L'orange Maltaise

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  • : « Il pourrait se trouver, parmi [mes lecteurs] quelqu’un de plus ingénieux ou de plus indulgent, qui prendra en me lisant ma défense contre moi-même. C’est à ce lecteur bienveillant, inconnu et peut-être introuvable, que j’offre le travail que je vais entreprendre. Je lui confie ma cause ; je le remercie d’avance de se charger de la défendre ; elle pourra paraître mauvaise à bien du monde ! » (Mémoires de la Duchesse de Dino, 1831)
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